La roulette russe !

Editorialiste, Le National

Le weekend dernier a vu une lame de fond balayer la région métropolitaine et certaines villes de province. Une véritable insurrection urbaine telle que l’on n’a plus vécue depuis les élections de 2006. Un soulèvement quasi-général contre la hausse des prix des produits pétroliers a embrasé une capitale déjà éclopée et violemment balafrée par les évènements du 12 janvier 2010. Port-au-Prince et Pétion-ville ont vécu l’espace de 24 heures une éprouvante épreuve du feu. Cela fait des mois depuis qu’à longueur d’éditoriaux, nous dénoncions les inconséquences des élites politique, intellectuelle et économique. Aucune urgence face à des problèmes sociaux récurrents. S’est-il agi de cécité, d’indifférence ou de négligence grave ?

Une économie exsangue, des plaies sociales putréfiées et des leaders politiques qui cherchent soit à s’accrocher au pouvoir, soit à en faire le siège de manière permanente, tout cela ne peut que constituer un dangereux cocktail explosif.

Que nos clercs se souviennent, cette ville a brûlé plusieurs fois au dix-neuvième siècle au prix d’affrontements aux coûts sociaux et économiques inestimables. Indifférence, arrogance, individualisme, corruption décomplexée pavent la voie royale qui conduit tout droit à l’enfer de Dante. Il est temps que nous tous citoyens de l’élite prenions conscience qu’il y a quelque chose de cassé depuis longtemps dans cette société. Une déchirure sociale qui ne cesse de saigner et qui, en plus de provoquer la saine indignation de la population attire aussi malheureusement, des requins cagoulés excités par l’odeur du sang.

La décision de ce gouvernement d’augmenter de manière substantielle les prix de l’essence est surement techniquement défendable, mais les responsables du pays le plus pauvre de la région doivent enfin comprendre que ventre affamé n’a point d’oreilles. Le gouvernement a géré la situation avec un amateurisme qui surprend nombre d’observateurs. Quelle idée saugrenue d’annoncer une telle décision au moment d’un match où la sélection brésilienne se fait rosser par la Belgique ? Comment peut-on faire un pari aussi risqué sur un match de football ? Quand on sait ce que la Coupe du monde représente comme défoulement populaire, c’est jouer à la roulette russe et n’avoir aucun sens de la psychologie des masses que d’annoncer une décision aussi douloureuse et impopulaire, au moment où le championnat mondial se termine par anticipation pour des centaines de milliers de fans du Brésil. D’ autant que depuis deux semaines, la plaine du Cul-de-sac est bloquée par des manifestants qui anticipaient justement la mesure.

Pour avoir joué aux apprentis sorciers, le gouvernement se retrouve coincé entre le marteau infaillible d’une organisation au coeur de pierre, nous voulons parler du Fonds Monétaire International- et l’enclume brûlante d’un peuple aux abois. Maintenant que le nouveau budget tombe à l’eau, puisqu’il reposait en partie sur la fin des subventions de l’essence ; Il va falloir tout revoir. C’est l’occasion de mettre fin à l’interminable partie de poker menteur et de commencer un vrai dialogue entre les forces vives du pays.

Sinon des commandos de casseurs vont continuer à infiltrer les mouvements populaires et le pays risque de devenir, s’il ne l’est déjà, une entité chaotique ingouvernable, et nous voilà repartis pour des années de présence étrangère. L’Opposition politique doit se montrer à la hauteur des évènements et ne pas lorgner uniquement le fauteuil présidentiel, pour après essayer les mêmes recettes éculées -, le Parlement doit sortir de ces réunions interminables et futiles pour prendre des initiatives qui font enfin la différence.

L’autisme du pouvoir, les agitations trop souvent stériles d’une fraction de l’Opposition, l’affairisme borné de certains secteurs économiques, l’activisme forcené et suicidaire de brigades de « partageux » ont conduit à la destruction de milliers d’emplois et la perte de milliards de gourdes.

Le président de la République dans sa communication à la nation s’est un peu perdu a rappelé ses promesses de campagne. Il devait se contenter de son « je vous ai compris », et annoncer des dispositions pour les jours à venir. Nous sommes à l’heure du passage à l’acte.

Un discours de haine se fraie un chemin douteux sur les réseaux sociaux et empuantit le climat social. Ce n’est pas le moment pour certains intellectuels de jouer avec des allumettes dans un environnement aussi volatil.

Les prochains jours seront difficiles. Espérons que la nation se ressaisira et sera à la hauteur des enjeux qui s’imposeront à nous dans toute leur violence. Il est plus que temps d’arrêter de danser sur un volcan.

Roody Edmé, Le National Haiti

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