L’artisanat haïtien: une mine sous exploitée

Artisanat en fête

L’artisanat haïtien: une mine sous exploitée
Le Nouvelliste | Publi le :15 octobre 2013
 Cyprien L.Gary et Dieudonné Joachim
Les oeuvres appréciables de l’artisan Auguste Kédor Tamouseul invitent à l’admiration
Francis Concite
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Les samedi 12 et dimanche 13 octobre ont vu se dérouler, au Parc historique de la Canne à Sucre, la 7e édition d’Artisanat en fête, manifestation de la capacité créatrice des Haïtiens exprimée par près de 200 travailleurs de la pierre, du papier mâché, du bois, du latanier, de la corne, de la toile, du métal, de l’argile, du plastique… et même des déchets. Sous les doigts habiles d’artisans provenant de tous les coins du pays, ces matériaux ont pris des formes, des couleurs et des apparences fascinantes qui, en l’espace de deux jours, ont transformé le Parc en un écrin de verre mettant en relief l’imagination débordante et le savoir-faire incomparable des artisans haïtiens, ce, pour le plaisir des dizaines de milliers de visiteurs locaux et étrangers qui rechignaient à laisser le site de la foire même après l’heure de clôture.
« J’ai été estomaquée de constater la qualité et la diversité des pièces produites par ces artisans qui ont peu de moyens, dit Christiane Bruyère qui, avec quatre autres collègues du Programme de coopération volontaire du Canada, a dépensé plus de 30 000 gourdes en quelques heures. L’événement nous a permis de voir ce qui se faisait en termes de production artisanale dans toutes les régions du pays. J’ai bien aimé aussi le fait que les artistes nous remettent des cartes, qui nous permettront de les rejoindre en dehors de l’exposition et, qui sait ?, de les encourager à nouveau.
» Que ce soit en broderie, sculpture, poterie, métal découpé, meubles design ou objets d’art faits à partir de matériaux recyclés, nos artisans se sont encore une fois surpassés.
Personne ne peut le dire au juste mais certains estiment que c’est l’instinct de survie qui pousse nos artisans à être aussi créatifs. Dans un pays où l’offre d’emplois est réduite à sa plus simple expression, pas étonnant que l’artisanat constitue le gagne-pain d’une grande partie de la population… Chaque région du pays a en effet développé des aptitudes artisanales particulières, en fonction de ses potentialités. C’est ainsi que Croix-des-Bouquets passe pour être le berceau du fer découpé. Léogâne fourmille de travailleurs de la pierre. Camp-Perrin s’illustre dans la broderie et la transformation des fruits alors que les artisans de Jacmel sont devenus les maîtres incontestés du papier mâché et des articles de décoration intérieure.
Toute cette activité, fruit de milliers de microentreprises – chaque artisan étant sa propre petite entreprise – génère des retombées économiques non négligeables pour des secteurs de la population qui, autrement, auraient toutes les peines du monde à joindre les deux bouts.
Pourquoi un pays doté d’une telle richesse créatrice se classe-t-il parmi les plus pauvres ?
C’est la question qui revient après chaque édition d’Artisanat en fête. La majorité des artisans interrogés à cet effet reconnaissent que les Haïtiens ont un potentiel créatif hors du commun. Cependant, bien souvent, ils fonctionnent dans l’informel et n’ont, de ce fait, pas accès au crédit. Il leur manque alors les moyens financiers pour se constituer en petite ou moyenne entreprise orientée vers l’exportation. Ils croient qu’avec un encadrement plus important de l’État ou des institutions financières du pays, ce secteur serait plus performant, emploierait plus de gens et renforcerait l’économie nationale.
En attendant une contribution plus sensible de l’État, tous estiment que l’avènement d’Artisanat en fête a été salutaire pour le secteur. Depuis le déclin du tourisme enclenché au milieu des années 80, l’artisanat haïtien commence enfin à recouvrer sa visibilité – et sa rentabilité – perdues. Artisanat en fête constitue l’une des rares occasions de l’année où les artisans peuvent espérer faire de meilleures affaires. Parlez-en à Einstein Albert, un artisan qui est toujours parvenu à écouler tous ses produits (les fameux bols en gommier) au cours des six précédentes éditions. « Artisanat en fête est l’une des activités qui ouvrent des grandes opportunités aux artisans, dit-il. C’est une grande porte ouverte aux artisans. Un message a été lancé, les Haïtiens comprennent la nécessité d’acheter local. Je m’en réjouis.
» En termes de vente, l’Einstein de l’artisanat haïtien confie que les ventes ne sont pas allées au même rythme que l’année dernière. Tout de même, il n’a pas à se plaindre de sa 7e participation à Artisanat en fête. « Il faut comprendre que l’économie traverse une période de grande récession, fait remarquer M. Albert qui a mis cette année son stand au service du Comité spécial olympique. Les problèmes économiques ne sont pas propres à Haïti. Ils concernent le monde entier. En dépit de cela, les gens ont exprimé massivement leur désir de consommer !
» Dans un souci de faire connaître ses projets en Haïti, le Comité spécial olympique s’est joint, par le biais de Einstein Albert, à Artisanat en fête. Le comité a ainsi distribué 1 500 plantules de gommiers aux visiteurs, notamment à tous ceux ayant acheté l’un des bols de l’artisan Einstein fabriqué à partir de bois de gommier. Une façon d’assurer la pérennisation de la matière première pour ses bols tout en participant au reboisement et à la protection de l’environnement. Comme corrections à apporter aux prochaines éditions d’Artisanat en fête, Einstein Albert propose aux organisateurs de débuter leur planification plus tôt. « On ne devrait pas attendre deux ou trois mois pour la mise en place des structures de la foire, préconise l’artisan, ajoutant que l’époque du ”One man show est révolue”. Il faut intégrer beaucoup plus d’institutions. Et si les artisans veulent produire quelque chose de rentable et fonctionnel, ils ne doivent pas oublier la diaspora haïtienne… » Les habitués de la foire et les amateurs de nouveautés présents ce week-end au parc ne se sont pas ennuyés. De nouveaux artisans et de nouvelles oeuvres ont marqué la 7e édition d’Artisanat en fête. Parmi ces nouveautés, le public a particulièrement apprécié l’oeuvre géante de Josué Blanchard dénommée « Le Résistant ». Les oeuvres en marbre de l’artisan campérinois, Auguste Kédor Tamouseul, n’ont laissé indifférents les visiteurs. Les artisans de la récupération se sont illustrés au parc en présentant des oeuvres disgracieuses pour les uns mais remarquables pour d’autres. Les propriétaires du stand « Créations dorées » peuvent se targuer d’être parmi les meilleures ventes de cette édition. Leurs sandales très colorées et leurs bijoux pas bon marché ont été enlevés comme des petits pains. La Collection Vêvê de Phélicia Dell a drainé beaucoup d’amants du luxe. Très appréciées par la clientèle locale et internationale, les oeuvres de Phélicia Dell sont souvent piratées et copiées par une concurrence malhonnête. Ce qui met la designer dans l’obligation de créer continuellement et de présenter de nouvelles choses pour le plaisir de ses nombreux clients.
Cyprien L.Gary et Dieudonné Joachim
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