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Déclaration conjointe d’organisations de la société civile sur les résultats de la ronde de conversations haitiano-dominicaines tenue à Ouanaminthe le 7 janvier 2014

Document soumis à AlterPresse le 14 janvier 2014

Nous, organisations signataires de la présente déclaration, avons été reçues, le 6 janvier 2014, par le Premier Ministre du gouvernement haïtien et les membres de la Commission ad-hoc désignée pour la conduite du « dialogue » rouvert avec la République Dominicaine, sous facilitation vénézuélienne et avec l’appui de diverses institutions régionales et internationales. Nous avons eu l’opportunité de communiquer au président et aux membres de la commission haïtienne plusieurs de nos préoccupations, entre autres :

1-​celle du risque d’un dialogue de sourds entre la République d’Haïti et la République Dominicaine sur l’agenda de la rencontre et en particulier sur l’inclusion ou non de l’arrêt TC 168-13 dénationalisant plusieurs centaines de milliers de descendants d’Haïtiens, autour duquel les deux États avaient jusque-là formellement exprimé des positions profondément contradictoires ;

2-​ celle du risque de réduire à un dialogue bilatéral, une question interne dominicaine, certes, mais dont les conséquences ont un caractère international, par la violation des droits fondamentaux de plusieurs milliers de Dominicains d’ascendance haïtienne.

3-​ celle de l’absence, au sein même de la commission haïtienne ou de son groupe d’invités-observateurs, de représentants de la société civile et notamment de groupes et institutions ayant une pratique des populations et problèmes de la zone frontalière et une bonne connaissance du dossier de la migration et du commerce transfrontalier ;

4-​celle d’une possible confusion quant aux rôles respectifs de cette Commission ad hoc et de la Commission mixte bilatérale créée en 1996 pour traiter des questions cruciales relatives aux deux pays ;

5- ​celle de sous-estimer l’influence, à la tête de l’État dominicain, d’un courant politique de type néofasciste porteur d’une vision ouvertement raciste anti-haïtienne, organisant dans l’État dominicain le sabotage de toutes initiatives visant à l’amélioration des relations bilatérales, et qui s’appuie, entre autres, sur la non reconnaissance des apports de la diaspora haïtienne en République dominicaine ;

6-​ celle de minorer la forte demande exprimée par l’ensemble de la société haïtienne et de sa diaspora, que l’État haïtien et la commission haïtienne transmettent clairement et fermement à leurs interlocuteurs l’exigence du respect de la dignité humaine, du respect du peuple haïtien, de ses descendants et de ses congénères, valeurs fondamentales constitutives de notre idéal d’État- nation ;

7-​celle de d’infléchir la ligne du rejet absolu de l’arrêt TC168-13 et de réduire indûment la pression maintenue jusque-là par la République Haïti et ses alliés internationaux.

Les organisations en question croient nécessaire de partager aujourd’hui leurs opinions et recommandations sur les résultats de cette première rencontre de Ouanaminthe. Tout en étant conscientes de tout ce qui pèse encore sur le processus, comme risques et comme pièges, les organisations signataires prennent acte des points suivants :

1-. Le fait que, selon les déclarations d’officiels haïtiens, plus de trois heures aient été consacrées aux débats sur l’arrêt TC-168-13 peut être vu comme un point marqué contre les ténors ultranationalistes et divers membres du gouvernement dominicain qui avaient hautement proclamé tous les jours précédant le 7 janvier 2014, que ni l’arrêt du Tribunal constitutionnel, ni le Plan de régularisation ne figureraient au menu des discussions. En atteste l’évocation, dans la déclaration finale en son paragraphe 7, d’une demande haïtienne de « garanties que des mesures concrètes soient prises pour sauvegarder les droits fondamentaux des personnes d’origine haïtienne » et d’un « engagement de la partie dominicaine » à cet égard. La concrétisation de ces « demandes » et de cet « engagement » demeure cependant un point qui requiert notre plus haute vigilance.

2-. La commission haïtienne, avec la présence des observateurs internationaux, -présence farouchement combattue par le secteur conservateur dominicain- n’est pas tombée dans le piège du tête à tête bilatéral sur la question de l’arrêt TC168-13. La définition de la fonction des observateurs internationaux, explicitée au paragraphe 4 de la déclaration conjointe, permettant non seulement qu’ils soient partie prenante des échanges mais qu’ils soient appelés à « formuler des recommandations » et à « fournir leur expertise sur les différents sujets traités », est un acquis pour la suite des conversations.

3- Les rôles respectifs de la Commission ad hoc et de la Commission mixte bilatérale semblent avoir été départagés, tel qu’exprimé au paragraphe 5 de la déclaration conjointe. La Commission mixte bilatérale, qui sera « réactivée », est l’instance désignée par les deux parties pour « assurer le suivi des décisions prises dans le cadre de ce dialogue de haut niveau ainsi que pour mettre en œuvre les accords précédents ». Nous soulignons cependant qu’au-delà de la conjoncture, il est grand temps de redonner à cette commission toute son importance. C’est un « dossier » qui doit être repris et sur lequel les deux parties ont déjà accumulé données et expériences.

En dépit de ces pas qui pourraient être jugés positifs, un certain nombre de choses demeurent préoccupantes et d’autres demandent à être clarifiées.

1) Un certain flou demeure quant à l’agenda des onze prochaines rencontres mensuelles. Notant l’accueil favorable qui a été fait au document remis par le GARR en prélude à la réunion du 7 janvier 2014, les organisations signataires aimeraient être informées de la méthodologie de travail et du contenu des prochaines rencontres afin de partager leurs expériences et points de vue avec la commission haïtienne.

2) Le fait qu’il ne soit apparemment pas prévu d’associer, en plus des secteurs privés des deux pays, des représentants de groupes et institutions de la société civile liés à la problématique de la défense des droits des personnes, ou des représentants d’associations du secteur informel d’affaires, acteurs importants du mouvement des échanges commerciaux entre les deux pays et particulièrement dans la zone frontalière (marchandes et marchands , transporteurs, cambistes, etc.), ou encore des représentants de la diaspora haïtienne en République dominicaine, demeure préoccupant. Nous réitérons donc notre demande que la société civile des deux pays, en ses principales composantes concernées, soit associée à la dynamique et au suivi des conversations à venir.

3) Conscientes de la complexité de la question commerciale entre les deux pays, les organisations signataires attirent l’attention de la Commission ad hoc sur une nécessaire clarification des mécanismes institutionnels impliqués dans la gestion des douanes et des marchés transfrontaliers, y compris le rôle des mairies et des associations locales plus haut mentionnées.

4) Compte tenu des conflits récurrents entre pêcheurs haïtiens et autorités dominicaines, les organisations signataires appuient les recommandations du GARR à ce propos et attirent l’attention de la Commission ad hoc sur la question des frontières maritimes et fluviales entre les deux pays.

5) Conscientes des menées des secteurs ultranationalistes dominicains, minoritaires mais puissants et bénéficiant d’une grande visibilité, les organisations signataires appellent à la vigilance de la commission haïtienne et à un rôle proactif des représentations diplomatiques haïtiennes en République dominicaine, pour une protection efficiente et célère des ressortissants haïtiens et pour exiger le respect de l’État et du peuple haïtien.

6) Par ailleurs, nous, organisations de la société civile signataires de cette note, prenons acte de l’engagement de l’État haïtien à fournir des documents d’identification appropriés aux travailleurs haïtiens afin que ces derniers puissent bénéficier de visas temporaires leur permettant de régulariser leur situation en République Dominicaine. Ainsi, il est indispensable que les autorités compétentes (le ministère de la Justice, les Archives Nationales, l’ONI, etc.) prennent leurs responsabilités pour faciliter l’accès de ces documents à la population, non seulement en allégeant les procédures d’obtention de ces documents et en en réduisant les coûts, mais également en consacrant un budget à la réalisation de ces opérations.

A cet égard, nous réitérons la demande faite depuis de nombreuses années à l’État haïtien qu’une unité spéciale de délivrance de passeports soit établie en République dominicaine et que de nouveaux consulats soient ouverts dans des zones à forte concentration d’Haïtiens.

Les organisations signataires appellent également à la vigilance quant au commerce lucratif de faux papiers par des profiteurs de tout bord qui abusent de la population des zones frontalières pauvres et des bateys.

7) En dernier lieu, il importe de garder à l’esprit que la déclaration conjointe issue des discussions du 7 janvier 2014 est, en cette étape, une déclaration d’intentions. Nous sommes habitués à ce que nos deux États émettent de telles déclarations qui restent lettre morte. En cette occasion, nous les exhortons à marquer la différence, par le fait même que les deux parties ont convenu de « qualifier d’historique le dialogue franc et les avancées » de la réunion de Ouanaminthe.

Tout en offrant leur appui au dialogue entre les deux parties, les organisations signataires renouvellent leur engagement à continuer d’accompagner les personnes affectées par l’arrêt 168-13 jusqu’ à l’adoption de mesures adéquates par les autorités dominicaines en accord avec les conventions internationales, excluant toute formule de naturalisation. De même, elles ratifient leur mission d’œuvrer au renforcement des rapports d’amitié et de solidarité entre les deux peuples de l’île.

Port-au-Prince, le 14 janvier 2014.

Pour le Groupe d’Appui aux Rapatries et Refugies (GARR.) : Jean-Baptiste Azolin

Pour le Service Jésuite aux Refugies et aux Migrants.(SJRM) : Père Antoine Lissaint

Pour le Collectif Haïtien sur les Migrations et le Développement(COHAMID) : Guy Alexandre

Pour la Fondation ZILE : Edwin Paraison

Pour le Comite Mémoire 1937 : Rachelle Charlier Doucet

Alter Presse.

http://www.alterpresse.org/spip.php?article15808#.Utadleko45s

 

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