La Calamité Rose: Ayiti-Exit – la nécessité d’arrêter la Caravane du Faire Semblant (4 de 9

Détails Catégorie : Opinions Publié le vendredi 26 juillet 2019 03:21

 

Par Alin Louis Hall — La disparition du politique au profit de ce nihilisme revendiqué par une classe moyenne qui mange à tous les râteliers a provoqué des dégâts considérables. Le « banditisme légal » est devenu le déterminisme haïtien. Impossible de trouver avec la lampe de Diogène un homme en plein midi ! Cet état permanent de déréliction a déjà détruit les rapports sociaux équilibrés et les valeurs fondamentales. Par exemple, le vote est devenu un commerce de détail. À défaut d’une action politique innovante, s’annonce une continuité de la gestion mercantile et anarchique des maigres ressources de l’État. Les options actuelles qu’on veut imposer amplifieront tous les dangers. Elles n’offrent qu’un lendemain sans trace ni passé. Haïti est désormais une bombe à retardement environnementale, économique, sociale et culturelle. Pendant que les secteurs porteurs et filières traditionnelles constatent leur disparition programmée, l’abandon des terres alimente le modèle entrepreneurial dominant du taxi-moto qui ne crée aucune richesse. En augmentant la pression sur les infrastructures sanitaires déjà défaillantes en raison du nombre d’accidents, cette activité transitoire avant le départ volontaire est un des maillons forts de la chaine d’importation et n’est pas sans conséquences sur notre balance de paiement et notre facture pétrolière.
Aussi, pour échapper à la faillite du « faire semblant » la panne d’inspiration s’exprime-t-elle dans toute sorte d’activités non-créatrices de richesse notamment la prolifération de « borlettes » pour les derniers et les avant-derniers de la pyramide sociale. De surcroit, la prévalence de la conscience mystique et la pensée magico-religieuse qui en découle accompagnent la société haïtienne dans ce qu’il convient de reconnaitre comme un plongeon dans l’imaginaire. Ave la Bible, les « interprètes de songes » et « tchalas » sont des classiques de la société haïtienne qui jalousement les préserve. Dans cet univers, les détenteurs de la clef des songes jouissent d’une respectabilité enviable. Ils sont les dépositaires de la prémonition. L’anticipation n’ayant jamais fait partie de l’équation haïtienne, les contrebandiers de l’espoir dament le pion aux psychiatres et psychologues. A la vérité, ces professions sont menacées de disparation dans une société haïtienne incapable de faire la différence entre le réel et l’imaginaire. Si le rêve est l’une des grandes voix ou voies par lesquelles l’inconscient se fait entendre, la quasi-totalité des Haïtiens croient qu’il s’agit plutôt de messages prophétiques envoyés par les ancêtres ou les dieux. Seulement voilà que Freud voit le rêve comme la « voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique ». Sur ce point, il convient de faire un détour sur les « parties non conscientes » de l’homme pour comprendre la relation entre le vécu et le psychosocial.
Si l’on emprunte le jugement de Carl Rogers, l’appui psychosocial est le volet qui s’occupe de la psychologie de crise, de la victimologie et des secours. Afin de permettre, si nécessaire, que le vécu potentiellement traumatique soit assimilable par les victimes, cette démarche vient en aide au groupe ou personnes touchées par des évènements critiques comme les guerres ou conflits, les catastrophes naturelles, les accidents majeurs, les actes terroristes, etc. En d’autres termes, l’appui psychosocial entre en jeu pour prévenir et soulager les blessures morales et refermer les cicatrices psychologiques encourues consécutives aux évènements critiques adverses. Dans les cas où des traumatismes sont ignorés chez certains individus, le vécu joue un rôle déterminant dans leur développement psychologique ainsi que leur interaction dans un environnement social. L’assistance psychosociale est une démarche qui vise au rétablissement des personnes à travers une approche collective centrée sur la connaissance des besoins individuels.
Il importe de souligner que la résilience doit être interprétée comme un phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à justement prendre acte de l’événement traumatique pour ne plus vivre dans la dépression et se reconstruire. En toute liberté et ouverture d’esprit, il convient de ne jamais fermer les pages d’horreur de la société coloniale. Nous avons trop longtemps ignoré l’impact des expériences traumatisantes de nos ancêtres dans la structuration et le façonnement de leur personnalité. Pour survivre, l’Africain « esclavagisé » faisait aussi semblant soit de travailler soit de vaquer à d’autres occupations pour tromper la vigilance du maitre ou du commandeur. Un comportement qui a survécu à l’épreuve du temps et a résulté dans l’intériorisation de la culture de la fuite en avant. Ainsi s’explique cette mentalité solidement ancrée dans nos qualités individuelles. Sauf en face d’un danger commun, il en résulte une inaptitude à développer une intelligence situationnelle collective. D’où, un narcissisme coriace qui est devenu la principale source d’une véritable confrontation avec nous-mêmes.
En fait, au risque de nous répéter, la société haïtienne carbure au faire semblant. Pourtant, les Haïtiens ont l’occasion d’observer les activités ludiques des enfants. Pour s’amuser ou amuser, les enfants de trois à cinq ans se servent de plus en plus d’objets de façon symbolique. Par exemple, ils aiment faire semblant d’être au téléphone. Le faire semblant consiste donc à utiliser un objet pour imiter ou frimer comme dans le cas du couvercle de casserole comme volant de voiture. Notre illustration de ce phénomène ne saurait restée à la surface des choses. Le « faire semblant » renvoie donc à la simulation, un volet du marronnage, pour échapper à l’enfer de la plantation. C’est en feignant de travailler que s’est développée parallèlement cette culture du détournement. Pour survivre, on mimait les actions. On feignait de les accomplir. Malheureusement, en maintenant le mauvais pacte social, on a aussi rendu pérennes les conditions favorisant l’épanouissement du mimétisme pour se dérober, au travail collectif pour les autres. Comme nous le verrons plus loin, le faire semblant n’est pas incompatible avec l’obsession égalitariste. Au contraire, si l’aspiration de la masse afro-paysanne à la propriété au lendemain de l’indépendance trouvait son fondement dans un contenu de l’autonomie répondant aux référentiels africains, le travail collectif pour les autres ressemblait trop à un long passé servile dont l’expérience était vivace dans l’inconscient collectif et les consciences publiques.
Cette falsification de soi a ainsi présenté une certaine aversion pour le travail sous les fonts baptismaux. Comme à Saint-Domingue, la perception de l’homme libre est influencée par la représentation du colon en tant que quelqu’un qui ne travaille pas (sous-entendu ici pour les autres). En tout état de cause, le qualificatif de « flâneur » est une consécration recherchée par l’homme haïtien retenu prisonnier par les forces d’inertie de la traite, de la transplantation et de l’esclavage. En clair, l’équivalent du mot gentilhomme en créole n’est autre que « bon flanè ». En toute circonstance, il appert que la reconnaissance du triptyque haïtien soit bien mise en exergue dans l’observation du diplomate français Maurice Chayet, ambassadeur de France en poste en Haïti, de 1945 à 1950. Son rapport de fin de mission constatait que :
« Les inconséquences de la politique des gouvernants, comme les contradictions de la conduite des particuliers sont expliquées dans une large mesure par le caractère de l’Haïtien. L’héritage tragique de l’esclavage pèse lourd sur sa psychologie. Défiance instinctive à l’égard non seulement des blancs mais de ses propres congénères, dissimulation, fourberie, médisance, intrigue, déloyauté, instabilité émotionnelle et intellectuelle, puérilité, inconséquence, telles sont les tares dont les meilleurs d’entre eux ne sont pas exempts. Imaginatif et velléitaire, l’Haïtien s’épuise en paroles et en projets dont il est incapable de poursuivre la réalisation. Dominé au cours de toute sa vie par le complexe d’infériorité raciale, il est d’une susceptibilité maladive dont les manifestations sont diverses. Il en résulte entre Haïtiens des querelles perpétuelles et dans leurs rapports avec les blancs et l’étranger, des manifestations déroutantes d’une vanité puérile et d’un orgueil insensé. Leur contestation perpétuelle les divise en clans et l’étranger séjournant parmi eux se trouve, quelque précaution qu’il prenne, en butte à l’animosité et aux cabales des uns ou des autres. Une préférence, voire une attention qui n’est peut-être que fortuite suffit pour déchainer contre lui une haine d’autant plus dangereuse qu’elle est souvent insoupçonnée[1]. »
Or, après l’occupation américaine, le « mal haïtien » avait été défini comme le bovarysme culturel des élites par l’école ethnologique dite « des Griots ». On retrouva Emmanuel C. Paul à évoquer l’absence d’une « complète unification morale et spirituelle » [2] du pays tandis que Lorimer Denis mettait plutôt l’accent sur le mépris des masses que le courant noiriste présentait comme l’essence de la nation ou encore « l’âme haïtienne » [3] . Pourtant, zombifiant la population avec leur « gobinisme à rebours », ces compagnons du dictateur fasciste François Duvalier se sont enrichis sur le dos du pauvre peuple qui a vu sa misère augmenter sans la moindre nuance. Méchancetés, angoisses, tourments et frustrations ont conduit les masses à fuir sur des embarcations de fortune et à préférer mourir en mer que de vivre en Haïti. La bande des Griots a utilisé l’arme culturelle contre le peuple qui meurt dans le désespoir. La jeunesse fuit car elle sait que les dés sont pipés et que le sort en est jeté. La mafia au pouvoir a tous les atouts en main. La dégradation s’est durablement installée avec la promotion de l’insignifiance au plus haut niveau de l’État.
De nos jours, l’exhibitionnisme de masse des réseaux sociaux nous permettent de nous rendre à l’évidence du niveau de délabrement mental résultant de l’encanaillement de 1957. Les technologies de l’information catalysent le blocage qui encourage de rester à la surface des choses en empêchant les esprits d’assimiler la notion la plus élémentaire. Plus qu’une simple opacité, ce blocage maintient la jeunesse dans un état chronique de constipation mentale. Il s’ensuit que saisir la moindre complexité devient un exercice pénible et douloureux. On commence à peine à se rendre compte des conséquences de la rupture de la transmission du savoir avec le départ des enseignants sous Duvalier. Haïti est désormais une république d’esprits contaminés et malades dans laquelle n’importe quelle caractéristique physique comme « tèt kalé » ou un aléa de la nature comme « lavalas » deviennent les noms de parti politique. Dans cet univers où le libre arbitre n’existe pas, « se kolon ki bat ». Le moindre effort de pensée critique est interprété comme une déclaration de guerre. Alors, « ba Ayiti yon chans » est l’avertissement qu’il ne faut pas ignorer. Gare à toute obstination, sinon « egri kap megri » déclenche les hostilités. Dans cet espace de schizophrénie collective, les débris de la classe moyenne et les serviteurs de l’idéal nihiliste communient dans la nostalgie de l’ordre makout par la terreur.
C’est assurément ce constat qui aurait poussé l’écrivain et philosophe italien Umberto Eco, auteur du célèbre roman « Le nom de la rose »[4] paru en 1980, à écrire que « les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles. » Dans le contexte haïtien, cette invasion de cerveaux lents sur les réseaux sociaux a pris avec aisance le relais du complot contre l’intelligence. En Haïti, on parle de tout et surtout de rien du tout. On pense qu’on peut tout simplifier sur les réseaux sociaux et tout expliquer à la radio. Pour compenser le vide existentiel et rattraper le déficit de socialisation, toutes les déraisons sont permises y compris aborder les sujets qu’on ne maitrise pas. Le syndrome ne programme pas les Haïtiens pour être mais pour paraitre. Serait-ce la manifestation de ces symptômes qui aurait alerté Jean Price-Mars sur notre « verbomanie » à parler et à discourir à l’excès ? Le verbiage des Haïtiens serait-il un trait culturel dominant ?
En effet, ne faut-il pas un peu plus de patience que d’habitude pour écouter certaines émissions radiophoniques ? Définitivement, notre système d’éducation a produit des individus très égocentriques qui croient que la terre tourne autour d’eux. Le plus souvent, une pléthore d’invités constitue le panel. Ils sont tous salués et introduits courtoisement selon le même rituel. Et voilà que chaque panéliste à son tour comme introduction se met à saluer tous les autres invités individuellement agrémentant d’une petite présentation pour chacun d’eux. Ensuite, c’est l’occasion de saluer sa région, parents, amis, collègues, supporteurs, auditoire, diaspora, etc. Nous faisons ici un clin d’œil au « relationnel » de Gérard Barthélemy dans Le pays en dehors. Sans surprise, pendant la durée du débat, on s’entredéchire ou on tourne en rond avec les mêmes arguties et insultes. Ne devrait-on pas chercher à savoir à qui profite cette cacophonie logomachique ? En quoi ces émissions font-elles avancer les intérêts du pays ? Pourquoi, les mêmes questions restent pendantes ? À la vérité, l’unicité de la classe politique protège jalousement la récurrence des ratages programmés.
Toutefois, à quelque chose malheur est bon. Que retient vraiment l’auditoire lors de ces débats houleux sinon l’ampleur du phénomène de la déperdition de l’information ? Selon la chapelle politique du panéliste, l’opinion de l’auditoire le rendra rose ou noir. Et, sans surprise, rien de substantiel du débat n’est retenu par les auditeurs pourtant suspendus à leurs récepteurs radio. Alors, c’est toujours l’occasion pour le public béat de flatter le narcissisme. Incapable de jauger le niveau du débat ni la performance du panéliste, on ensemence les germes de l’asymétrie avec « ou bien dépozé » ou « ou pasé trè bien ». Ici, nous faisons encore un clin d’œil au « relationnel barthélemien ». Dans la majorité des cas, ce n’est ni substance ni contenu mais plutôt la participation à l’émission qui devient le critère fondamental d’évaluation. Et lorsqu’on tient compte de l’asymétrie de référentiels, la prolifération des stations de radiodiffusion amplifie le phénomène de la déperdition. En effet, il n’est pas surprenant de noter que les technologies de l’information, la construction d’écoles et un niveau de scolarisation sans précédent n’arrivent pas à créer le choc interne. Quel est ce phénomène sinon la nécessité d’un ajustement culturel entre plusieurs Haïti têtues qui maintiennent sur les ondes un dialogue de sourd ? Selon les experts, la déperdition se définirait comme une perte de compréhension en raison des outils et référentiels. Que sont la culture, l’éducation, les habitudes familiales, l’expérience de vie, etc. sinon que des passoires ?
En effet, celui qui transmet une information utilise ses référentiels, son propre vocabulaire avec son intonation, son accent, en raison du contenu des mots choisis. À la radio comme à la télévision, on entend et interprète à sa façon. Les tournures de phrase ou expressions passent par le filtre du récepteur à l’autre bout. Dans le contexte haïtien, l’asymétrie de référentiels a aussi accouché d’une hybridation. C’est le cas pour le vodou haïtien dans lequel communie une Haïti plurielle. Cependant, le créole est indéniablement l’un des endroits où ce phénomène est resté tangible tant par sa persistance que par sa prévalence. En remontant à sa genèse, on retrouve certainement la prédominance de la pensée africaine comme toile de fond. Mais, les Africains ont été obligés, dans les circonstances de la brutale transplantation, d’utiliser la langue du colon comme plateforme linguistique pour développer un moyen de communiquer avec le maitre et, particulièrement, entre eux. Qu’on se rappelle le brassage tribal comme dispositif pour maintenir l’équilibre fragile au niveau du plus petit groupe afin de gêner toute possibilité de cohésion de l’ensemble. Ce diagnostic devrait nous pousser à reconnaitre la nécessité d’une approche anthropologique de la langue créole. Une fenêtre doit s’ouvrir sur les conditions ayant favorisées l’hybridation culturelle gâchée, une étape importante de la confusion identitaire programmée.
Comme la langue la plus répandue dans les plantations de Saint-Domingue, le créole était un catalyseur d’homogénéisation. Au passage, signalons que le fon ou fongbe constitue une des racines étymologiques africaines du créole. On a déjà martelé que la volonté d’être original ne peut que nuire à l’historicité. En fait, elle peut constituer un véritable danger occultant la pensée critique et pavant la voie à l’univocité. C’est du moins la conclusion qui s’impose lorsque, dans ses écrits et récits de voyage, Christophe Colomb ne fait nullement mention du mot « Haïti ». En ouvrant avec un peu plus de clarté les annales de la colonisation espagnole, le flou sur cette question invite à la circonspection. D’autres chercheurs ont pris la peine de vérifier en vain dans le dictionnaire taino. Dans tous les cas, la prudence exige qu’on s’interroge sur les raisons qui auraient porté les cinq caciquats à choisir un nom pour désigner l’ile que Colomb « baptisa », épée et croix en mains, « petite Espagne ». Pour mieux comprendre ce phénomène, on pourrait prendre l’exemple de l’hispanisation, puis la francisation et créolisation de « Yakimo » en Aquin. Aucun lien ni rapport avec Saint-Thomas d’Aquin.
Comme l’indiquent les recherches de l’anthropologue Pierre Paultre Desrosiers, il y a une démystification à faire pour décanter notre imaginaire. Une volteface s’impose pour au moins comprendre comment la tonalité des langues africaines ait pu été transformée en un phonétisme d’occasion. En ce sens, l’existence d’une pléthore d’expressions que nous utilisons dont la finalité n’est autre que la rime ou la frime confirme la prévalence du faire semblant qui ordonnance l’ordre social. Pour les incrédules, ce curieux phénomène phonétique est bien en exergue au niveau des chorales des églises catholiques haïtiennes. Pour s’en convaincre de ce grotesque phosphorescent, la quasi-totalité des membres de ces chorales n’ont aucune idée ni dans l’esprit ni dans la lettre des paroles d’un « Salve, Regina, Mater Misericordiae » ou du fameux « Veni, Creator Spiritus ». Or voilà qu’une partie de l’assistance le plus souvent entonne en même temps les couplets et participe de vive voix à la célébration eucharistique. En plus des accoutrements pour exposer leur superbe, les Haïtiennes surtout reprennent les refrains en latin qui deviennent un maillon important du cordon sanitaire autour des masses. Etonnamment, ce mimétisme ne serait pas exclusif à un secteur religieux ou spirituel. Fou qui croirait que les houngans ou mambos seraient en mesure de traduire leurs prières qu’ils répètent à tue-tête lors des cérémonies ou incantations. En ajoutant les musulmans haïtiens priant en arabe, la mystification est totale.
On retrouve également ce phonétisme creux dans le mimétisme grossier qu’exploitent certains artistes qui s’enrichissent en passant en dérision le paysan haïtien par la commercialisation des lapsus linguae les uns les plus ridicules que les autres. Dans Paracréolistique, Marc-Arthur Pierre-Louis attire notre attention sur un aspect de ce phénomène lorsqu’il écrit que : « Cette exubérance d’ardeur pour le français peut certainement être retracée chez beaucoup d’individus en Haïti, certains dans des proportions moindres certes, mais généralement il y a une prédilection pour la langue même chez ceux qui ne la maîtrisent pas. [5]» De ce phénomène découle une déformation saturée de la réalité à l’aide de la caricature. Malheureusement, ces clichés sont devenus des moyens couramment utilisés pour faire croire au monde rural qu’on est en train de les valoriser. Si ce n’est plus à démontrer que la scolarisation est plus efficace dans la langue maternelle, l’orthographe du créole répond à plusieurs objectifs sournois. Cette graphie phonétique imposée participe d’un complot subtil. Dans les premiers moments, une certaine école de pensée a voulu faire croire que cela devrait nous permettre de mieux nous rapprocher de l’anglais. On pourrait également s’attarder sur la polysémie « bagay » qui maintient la pauvreté lexicale et encourage l’imprécision. En fait, il convient de reconnaitre la présence d’une autarcie linguistique qui, à bien des égards, représente une couche superposée du dispositif sanitaire de mise en quarantaine.
Alin Louis Hal

Source : http://www.touthaiti.com/touthaiti-editorial/5534-la-calamite-rose-ayiti-exit-la-necessite-d-arreter-la-caravane-du-faire-semblant-4-de-9

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