Une image qui en dit long. Evans Paul, souriant en pleine conversation avec deux de ses anciens bourreaux : l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier et l’ancien président général Prosper Avril. Aux Gonaïves, le 1er janvier, pour la commémoration des 210 ans de l’indépendance du pays, le leader de la Kid a choisi de rompre les rangs pour, dit-il, faire un pas dans le sens « du dialogue ».
Evans Paul a été le seul leader politique de l’« opposition » à prendre part aux cérémonies commémoratives des 210 ans de l’indépendance aux Gonaïves. « On m’a invité, j’ai décidé d’y aller pour faire un geste de générosité politique, soutient Evans Paul. Messieurs Duvalier et Avril étaient là. Ils m’ont salué et m’ont demandé de se faire prendre en photo avec moi. Je ne vois pas pourquoi ne pas le faire pour envoyer une image de tolérance même si les désaccords persistent sur certaines questions.
» « Cela ne veut pas dire que j’oublie… », s’est-il empressé de souligner vendredi matin sur les ondes de Radio Magik 9. « Le 16 octobre 1980, on m’a fait compter 80 coups de bâton. J’ai beaucoup plus souffert sous le régime de Duvalier que sous celui de Prosper Avril en termes de coups de bâtons et de prison. Laissez-moi vous dire que lorsque vous jouez un match de football, on vous tacle et cela peut même vous casser la jambe, parce que vous jouez. »
Visiblement, Evans Paul n’est pas rancunier. Sobre, le leader politique a reconnu que tout pouvait arriver lorsque vous vous mettez en face d’un régime dictatorial. « Je n’ai pas un problème avec la personne de Jean-Claude Duvalier ou de Prosper Avril. Quant au président Martelly, je n’ai rien du tout avec lui. Je pourrai avoir des désaccords contre lui sur certains points, mais rien de personnel. Pour les deux autres, je les ai déjà pardonnés. Je privilégie maintenant le vivre-ensemble et l’intérêt du pays… », dit-il.
En sortant de prison en 1990 alors que Prosper Avril était au pouvoir, Evans Paul se souvient de lui avoir conseillé de réparer le pénitencier national au cas où il se retrouverait lui-même en prison. Ironie du sort, Proposer Avril s’était retrouvé quelque temps plus tard en prison dans la « même cellule que j’avais occupée », rappelle Paul.
Même si Evans Paul, manifestement, n’exige pas la démission de Michel Martelly, il se réclame toujours du MOPOD, le regroupement des partis politiques de l’opposition qui ne jure que par le départ du chef de l’Etat avant la fin de son mandat. « C’est un vœu du MOPOD que je comprends et je respecte sa position. Je suis minoritaire dans ma position », soupire-t-il.
Le leader de la KID se souvient encore de ce qui s’était passé sous la présidence de René Préval lorsque lui et d’autres partis politiques réclamaient la démission du président. « Je vais vous donner une grande vérité ce matin. En demandant le départ du chef de l’Etat, si on ne l’obtiendrait pas, lorsqu’arrivera la fin constitutionnelle du mandat de Martelly, on pourrait ne pas être préparé pour le remplacer correctement », prédit-il.
Il se souvient également que l’opposition s’était lui-même, à cette époque, disqualifiée des élections que devait réaliser René Préval à la fin de son mandat. L’ancien maire de Port-au-Prince estime qu’on devrait avoir du respect pour ceux qui ont voté pour le président Martelly.
Evans Paul, paradoxalement, qui avait été, en 2004, l’un des principaux acteurs du mouvement qui a conduit au départ du président élu de l’époque, Jean-Bertrand Aristide, croit aujourd’hui qu’« on doit s’efforcer à faire des élections une tradition institutionnelle permettant d’arriver au pouvoir ». Par ailleurs, M. Paul juge que la personne la mieux placée pour lancer le processus du dialogue, c’est le président de la République. Pour lui, ce dialogue doit avoir un contenu, un terme de référence pour ne pas perdre davantage de temps à tergiverser et à faire du sur-place.
Pour cette nouvelle année, il formule le vœu de voir une modération dans le langage du président de la République et des membres de l’opposition politique et un changement d’attitude de part et d’autre. M. Paul estime que le chef de l’Etat devra résoudre le problème de la Cour supérieure des comptes et les gens considérés comme des prisonniers politiques devront être libérés.
Pour l’opposition, elle devra faire un effort de concertation et venir avec des propositions qui vont dans le sens des intérêts de la population. Interrogé sur des critiques qui laissent croire qu’il est un proche du président Martelly et qu’il aurait l’oreille du président, Evans Paul croit que ce serait une bonne chose pour le pays parce que, selon lui, il aurait dit au chef de l’Etat des choses qui vont dans l’intérêt de la population. Le porte-parole de l’organisation politique INITE, membre du MOPOD aussi bien que la Kid, qui intervenait lui-aussi sur Radio Magik 9, n’a pas voulu polémiquer avec Evans Paul sur sa présence aux Gonaïves.
Toutefois, Dieudonne Cincir souligne que la présence du leader de la KID était très remarquée et qu’il n’a pas apperçu d’autres leaders politiques de l’opposition dans les activités. « C’est son choix, INITE n’a reçu aucune invitation… », indique-t-il. Sur le discours du président Martelly le 1er janvier, l’ancien journaliste concède que la cérémonie fut belle. Mais, souligne-t-il, il n’y a pas eu de joie sur le visage des participants.
Dieudonne Cincir estime par ailleurs que le discours du chef de l’Etat était correct et qu’il n’y pas eu d’attaque contre l’opposition comme il aime le faire. « Le président de la République a été correct dans son intervention, il faut dire la vérité… », soutient-il.
Pour les 210 ans de l’indépendance du pays, Michel Martelly avait invité aux Gonaïves huit anciens chefs d’Etat encore vivants, dont Jean-Claude Duvalier, Jean-Bertrand Aristide et René Préval, à prendre part à ses côtés aux cérémonies commémoratives. Seulement Duvalier et Prosper Avril ont répondu à cette invitation.
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