Les grandes manoeuvres d’Erdogan.

Photo L’Express: President de la Turquie

Le président turc veut de nouveau passer à l’attaque contres les Kurdes de Syrie. Pour infléchir la ligne de Washington

Est-ce un moyen de faire monter la pression sur Washington ou le signal d’une offensive imminente ? Profitant d’un contexte international caractérisé par un désordre sidérant, Recep Tayyip Erdogan ne cache plus son exaspération à l’égard des milices kurdes syriennes YPG (Unités de protection du Peuple), dont les chefs sont proches du PKK turc.

C’est principalement la ville de Manbij, au nord-ouest de la Syrie, à quelques dizaines de kilomètres à peine de la frontière turque, qui devrait en faire les frais, même si la percée pourrait simultanément s’effectuer plus à l’ouest, à Kobané et dans la ville turco-syrienne de Ras Al-Aïn (Ceylanpinar pour sa partie turque).
Une partie de billard à trois bandes

C’est en tout cas la promesse faite très récemment par le président turc devant l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) : “La Turquie a perdu assez de temps jusqu’ici pour intervenir contre le marécage terroriste à l’est de l’Euphrate. Nous n’avons plus la patience d’attendre un jour de plus”. Le marécage en question, dans lequel la politique aventureuse de la Turquie a largement sa part, désigne en fait un projet bien plus vaste.

Erdogan vise l’établissement d’une zone tampon qui s’étendrait de la frontière syro-irakienne, au bord du Tigre, jusqu’à Alep et à la poche d’Idlib, dans laquelle les forces turques disposent déjà de plusieurs postes militaires importants qui contrôlent la zone. Ce projet a évidemment pour but d’empêcher la création de facto d’un territoire kurde en Syrie, entité autonome qui se trouverait au point de contact avec les Kurdes du PKK, eux-mêmes en guerre contre Ankara.

C’est à cette fin que l’armée turque a mené une première offensive, baptisée Bouclier de l’Euphrate, entre août 2016 et mars 2017, en direction de Jarablus et de Al-Bab, puis une deuxième, en janvier 2018, nommée Rameau d’olivier, qui s’est soldée par la prise D’Afrin, au nord-ouest de la Syrie. Deux raids victorieux qui ont consacré la présence militaire turque en territoire syrien, soit une extension au pays voisin du conflit qui oppose les Turcs et les Kurdes du PKK depuis 1984.

Or le plan d’Erdogan se heurte frontalement à la présence américaine le long de cette zone tampon, laquelle repose sur de tout autres objectifs : les milices YPG sont les seules forces terrestres localement établies sur lesquelles les Occidentaux peuvent compter pour combattre les derniers points de résistance de l’État islamique. A cet effet, Washington soutient utilement les YPG par son appui aérien, sa logistique et par la présence sur place de forces spéciales et de conseillers.

Certes, de longues tractations entre Ankara et Washington ont abouti à la tentative de ménager les intérêts de part et d’autre pour éviter que des soldats turcs en viennent à tirer sur des membres des forces spéciales américaines incrustés parmi les Kurdes ; en échange, à Manbij, les Américains s’étaient engagés à convaincre les YPG de se retirer de la ville. En vain. Après les attaques turques contre leurs positions, les YPG ont menacé de lever le pied dans leurs combats contre les forces sporadiques de l’EI encore disséminées en Syrie.
Quatre fers au feu

Car une troisième donnée vient compliquer encore l’échiquier syrien ; pour contrer les Turcs dans le nord, les Kurdes ont dû retirer une partie de leurs forces du réduit de Hajin, ville de 40 000 habitants située entre Deir es-Zor et Al-Bou Kamal, dans le sud-est syrien – où l’EI résistait durement. L’annonce, le lundi 17 décembre, de l’anéantissement de cette dernière poche urbaine de Daech a démontré une fois de plus l’efficacité des YPG : Hajine est tombée, Daech a perdu son ultime bastion territorial. Même s’il reste aux djihadistes de large zones désertiques et rurales pour poursuivre leurs ravages… Dans cette reconquête, les Américains ont apporté leur appui aux YPG, les Français aussi au moyen de la batterie de canons César envoyée sur place et de forces spéciales tricolores.

Mais, du coup, les Kurdes vont-ils maintenant pouvoir se regrouper vers le nord et combattre les forces turques ? Pour les Kurdes de Syrie comme pour leur ennemi d’Ankara, la prise de Hajin et l’offensive turque sur Manbij ne sont sûrement pas sans lien entre elles. Tout montre qu’Erdogan garde quatre fers au feu ; la menace d’une nouvelle intervention militaire dans le nord syrien, la pression des révélations turques concernant l’affaire Khashoggi, qui a pour but d’accabler l’allié saoudien de Washington, l’alliance objective entre Ankara, Téhéran et le Qatar contre Riyad et le rapprochement entre la Turquie et la Russie dans le cadre d’une palette d’intérêts communs (approvisionnement gazier, achat d’une centrale nucléaire et de missiles S 400 à la Russie).

Texte de L’Express,   https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/syrie-les-grandes-manoeuvres-d-erdogan_2053784.html

 

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