Ce qui nous pend au nez !!!

Publié le 2019-10-30 | Le Nouvelliste

La crise s’enlise. Le président Moïse s’invente une réalité. Le gouvernement Lapin dégaine des mots. Il donne la garantie de sécuriser les vies et les biens, de libérer la voie publique.

Son ministre de l’Intérieur, fraîchement abonné à la phraséologie des hommes forts, promet, une nouvelle fois, que la police et la justice vont pratiquer la tolérance zéro contre  les casseurs et les pillards. Il a oublié de dire que les tribunaux sont fermés, que les juges sont priés de rester chez eux pour cause d’insécurité. Et que des agents de la Police nationale d’Haïti menacent de rentrer en grève.

La ligne, par le gouvernement, est tracée : manifester en paix autant que vous voulez, le président, attaché au pouvoir, résolu de réaliser des « réformes », ira jusqu’au bout de son mandat. « Ti Mari p ap monte, Ti Mari p ap desan n ». La police, hyper sollicitée, est là. Jusqu’au jour où elle fera faux bond.

La bronca de presque tous les secteurs de la vie nationale, les deux mois de « peyi lok », l’effondrement de l’économie, l’aggravation de la crise alimentaire, humanitaire et financière sont le cadet des soucis des chefs.

Les barricades, d’autres types de barricades, après l’interview du président Jovenel Moïse lundi et le point de presse du gouvernement Lapin mardi, ont pullulé. Les chefs ont parlé et le pays est devenu “lòk”. A double tour.

L’ardeur de ceux qui exigent le départ du président Moïse semble loin de s’estomper. En face, il y a une mosaïque. Il y a ceux, qualifiés de politiciens traditionnels, qui ne veulent que mettre la main sur le pouvoir. Il y a ceux qui, pauvres, moins humbles, mieux lotis ou riches qui veulent, qui rêvent d’un autre pays, d’un pays plus juste, plus égalitaire, moins violent. D’un pays normal.

Sur le front, parmi ceux qui disent non à ce système corrompu, générateur de pauvreté, de violence, il y a des contentieux non vidés. La méfiance ne s’est pas dissipée. Les plaies d’avant et d’après 2004 n’ont pas été cicatrisées. Le non à Jovenel Moïse fédère mais il n’y a pas de large consensus sur la gestion de l’après.

La difficulté à s’accorder sur l’après peut augurer de l’âpreté de la bataille, en cas de départ du président Moïse, pour contenir ce qui ne veulent que le pouvoir, pour sa jouissance et la redistribution des privilèges, des chasses gardées. Il y a de la moelle dans les os de la carcasse de cet Etat qui accumule des arriérés est une idée assez répandue chez les dépeceurs, les pilleurs des miséreux.

La conférence nationale, la nouvelle Constitution, un pacte progressiste entre les groupes économiques, l’établissement du règne de la loi, la tenue d’élections devraient avoir une armée de soldats.

Pas les bandits que des politiques, de certains bords, peinent à condamner. Pas ces bandits que l’on érige en « game changer ». Le bandit, dans son essence, est une nuisance à la société, un assassin, un kidnappeur, un violeur, un mercenaire, quelqu’un qui se vend au plus offrant, au gré des circonstances.

Prendre de la hauteur, inspirer confiance, mettre effectivement les intérêts communs au dessus de ceux des clans seront nécessaires pour redessiner l’avenir.

Mais entre-temps, le présent immédiat est grimaçant. L’exaspération et la colère d’un coté le déni, le mépris et la peur de l’autre risquent d’alimenter un peu plus le funeste, le sanglant. La dialectique des armes, la confrontation semble être l’option privilégiée ici où l’on déjà tout vu, tout fait. Y compris marcher sur le Palais national et tuer un président en fonction et subir l’occupation américaine en 1915 et la présence d’une force de maintien de la paix pendant plus de dix ans après les évènements de 2004.

En dépit de ce spectre de désordre généralisé, de « somalisation » du territoire dont des points sont déjà contrôlés par des gangs armés, certains font le dos rond, croient qu’il faut laisser passer la vague, que demain sera forcement meilleur, même avec le même dans le même même.

Cette vision étriquée, dépassée, ne valorise pas la vie. Elle ne s’attarde pas sur le plan Marshall pour remettre sur pied les entreprises, le plan de gestion des finances publiques, ne s’inquiète pas de la difficulté qu’aura Haïti à obtenir l’assistance financière nécessaire pour passer les turbulences des prochaines semaines, des prochains mois, des prochaines années.

Quand il va falloir payer les employés de l’Etat, payer les arriérés, payer la consommation de carburant sans ajustement des prix  à la pompe, sans recourir à la BRH, sans mise en disponibilité de milliers de fonctionnaires et contractuels, les choix à faire seront délicats. Pour Haïti, quelque soit le cas de figure au niveau politique, les temps difficiles sont à venir. Le pays, devenu plus pauvre, n’accordera que des mois, au plus une année à tout projet politique pour perpétuer le même.

Le courage, la lucidité, l’intelligence, l’esprit de sacrifice seront nécessaires à ce pays, aux groupes sociaux pour vider leurs contentieux, panser les plaies et aborder les défis dans un monde en mutation, avec des pays en crise, confronté aux effets néfastes du réchauffement climatique et aussi en proie à des convulsions sociales en faveur d’une meilleure répartition des richesses, en faveur de justice sociale.

A côté de ceux qui luttent, Haïti devra se réinventer, se surprendre et surprendre…

Roberson Alphonse

https://www.lenouvelliste.com/article/208564/ce-qui-nous-pend-au-nez