Qu’il s’agisse du processus de paix avec les Palestiniens ou des négociations avec Téhéran, les deux alliés étalent ouvertement leurs divergences. Du jamais vu ! (Un article publié dans J.A. n° 2758).
“Concernant nos récents différends avec les États-Unis, c’est maintenant le moment de calmer le jeu. Il est naturel que nous ayons parfois des opinions divergentes […], mais ces différences n’auraient pas dû être exprimées publiquement.” Ces propos volontairement apaisants portent l’étonnante signature d’un habitué des esclandres diplomatiques : Avigdor Lieberman. Réintégré au poste de ministre des Affaires étrangères après la fin de ses déboires judiciaires, l’ancien colistier de Benyamin Netanyahou a évité la polémique au terme de sa toute première rencontre de travail avec l’ambassadeur américain à Tel-Aviv, Dan Shapiro, le 12 novembre. Mais il en faudra bien plus pour apaiser la colère de l’administration américaine, frustrée de voir ses efforts au Proche-Orient continuellement sapés par l’irrédentisme du gouvernement israélien.
Après Hillary Clinton et ses émissaires lors du premier mandat d’Obama, c’est au tour de John Kerry de se heurter à Netanyahou, que rien ne semble arracher à ses certitudes sur les dossiers palestinien et iranien. Sauf que, cette fois, le mot “crise” est approprié. Celle-ci a largement supplanté les traditionnels désaccords qu’entretenaient jusqu’ici, presque sans brouille, Israéliens et Américains. Le Moyen-Orient a beau s’embraser de toutes parts, John Kerry n’entend pas râper son costume de secrétaire d’État pour jouer un rôle de figurant diplomatique promis aux oubliettes de l’Histoire. Même au nom de la sacro-sainte alliance avec l’État hébreu.
Le déni de Netanyahou
Son coup de sang résulte d’un énième projet israélien de constructions en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. L’appel d’offres initial, qui portait sur 1 500 logements, avait été officialisé le 30 octobre, quelques heures à peine après la libération d’un groupe de 26 prisonniers palestiniens – le second depuis la timide reprise des pourparlers de paix cet été. Avant même de pouvoir être apprécié par les intéressés, ce geste de bonne volonté a été balayé par une nouvelle vague de colonisation. Abasourdie, l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas menace aussitôt de claquer la porte des négociations. Netanyahou persiste pourtant dans le déni : “Je ne comprends pas cette polémique. Il y a des arrangements entre nous, les Américains et les Palestiniens, et c’est de ça qu’il est question. Les Palestiniens font semblant de l’ignorer, car ils sont sous la pression de leur opinion publique.” Le 6 novembre, à Jérusalem, le Premier ministre israélien pousse le poker menteur jusqu’à mettre John Kerry en porte-à-faux face aux journalistes : “Nous respectons scrupuleusement les termes de l’entente à partir de laquelle nous avons lancé ces négociations […]. Je suis inquiet car ils [les Palestiniens] créent des crises artificielles.”
Le secrétaire d’État américain n’apprécie guère la manoeuvre. La réunion suivante entre les deux hommes est glaciale. Kerry choisit habilement une interview à la télévision israélienne pour répondre à l’affront : “Comment pouvez-vous, alors que vous dites oeuvrer pour la paix avec la Palestine et les gens qui y vivent, construire dans des terres qui, en fin de compte, doivent revenir à cette même Palestine ? Cela renvoie un message que vous n’êtes pas vraiment sérieux.” Et de poursuivre : “Vous, Israéliens, pensez être en sécurité grâce à la barrière de séparation, parce qu’il n’y a plus d’affrontements au quotidien et que votre économie se porte bien. Mais laissez-moi vous dire que le statu quo actuel ne durera pas.”
Jamais une condamnation aussi explicite n’avait été formulée par un haut responsable américain.
L’allusion à une éventuelle “troisième Intifada” palestinienne ne passe pas. Vexé, Netanyahou adresse une ultime pique sur la question des frontières du futur État palestinien : “Je ne transigerai jamais sur la sécurité de mon pays. La vallée du Jourdain [à l’est] restera sous notre contrôle.” Reste qu’au sein de l’administration américaine les provocations verbales de “Bibi” semblent bien moins marquer les esprits que sa politique de grignotage des territoires palestiniens. “Les États-Unis considèrent toutes les implantations comme illégitimes”, insiste John Kerry. Jamais une condamnation aussi explicite n’avait été formulée par un haut responsable américain. Le malaise prend même un peu plus d’ampleur le 12 novembre, lorsque l’organisation israélienne Shalom Arshav (“La Paix maintenant”) révèle que ce sont en fait près de 24 000 unités de logement qui sont concernées par un appel d’offres. Un record ! Washington exige sans délai des explications à son allié. Bien qu’il assure ne jamais avoir été alerté, Netanyahou se voit contraint de lâcher du lest : il ordonne d’abord un gel partiel de 1 800 logements planifiés dans la zone E-1, une bande de terre reliant l’est de Jérusalem à la colonie de Maale Adoumim – 40 000 habitants -, avant de faire annuler la totalité du plan.
Netanyahou “génère l’hystérie”
Parallèlement, Israéliens et Américains s’affrontent sur le dossier du nucléaire iranien, autre terrain miné où leurs divergences paraissent néanmoins davantage liées à des considérations tactiques. Le 9 novembre, au moment où le groupe P5+1 (les cinq membres du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) et la République islamique semblaient proches d’un accord, Netanyahou monte au créneau pour dénoncer un compromis “qui enterre toute possibilité d’un règlement pacifique avec l’Iran”. Là aussi, son empressement à critiquer un “mauvais accord” avant qu’il ne soit signé a exaspéré au plus haut point les Américains. Tandis que le chef du gouvernement israélien était accusé par le New York Times de “générer de l’hystérie”, John Kerry lui adressait une cinglante mise au point : “Le temps de s’opposer [à l’accord] viendra quand vous saurez de quoi il retourne. Ne vous opposez pas aux efforts visant à déterminer ce qui est possible.”
Nucléaire iranien : Double jeu américain ?
Selon le quotidien israélien Haaretz, Washington ne considérerait pas les mises en garde répétées de Netanyahou comme une atteinte aux négociations avec l’Iran. Certains responsables de l’administration Obama admettraient même, en coulisses, que les pressions du Premier ministre israélien sont “utiles” au processus diplomatique en cours. Début novembre, le secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, avait salué les menaces israéliennes d’une intervention militaire, affirmant que celles-ci avaient poussé les Iraniens à négocier “sérieusement”. Tout en jouant l’ouverture avec la République islamique, les États-Unis auraient aussi adopté certaines exigences de Tel-Aviv, notamment sur l’arrêt de la production d’uranium enrichi, comme l’a laissé entendre Wendy Sherman, chef de l’équipe américaine à Genève, lors d’une interview accordée à la télévision israélienne.
Jeune Afrique., http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2758p054.xml0/tats-unis-israel-palestine-john-kerry-proche-orient-israel-tats-unis-la-grande-discorde.html