Le militaire et le port d’armes
Ce texte fait suite Ă un autre intitulĂ© « Police ou ArmĂ©e », publiĂ© dans son Ă©dition du 27 octobre dernier par le quotidien haĂŻtien Le Matin, puis largement partagĂ© sur Internet par plusieurs lecteurs et diffusĂ© sur certains sites. Ceux ou celles qui n’auraient pas lu le prĂ©cĂ©dent article peuvent essayer de retrouver le journal ou m’adresser un courriel Ă l’adresse indiquĂ©e au bas de la prĂ©sente. Il s’y Ă©tait agi de faire la distinction entre la police et ce que pourrait ĂŞtre une armĂ©e haĂŻtienne nouvellement conçue, appelĂ©e Ă travailler Ă cĂ´tĂ© de la population dans les tâches de dĂ©veloppement, Ă assurer la formation militaire des citoyens selon l’esprit de la Constitution, Ă organiser la dĂ©fense Ă©ventuelle du territoire et Ă prĂŞter main-forte Ă la police en cas de besoin.
Au cours de mes Ă©tudes militaires, qui avaient dĂ©butĂ© en 1956, l’un des principes enseignĂ©s sur les Règlements de l’ArmĂ©e s’Ă©nonçait Ă peu près comme suit : « L’ArmĂ©e d’HaĂŻti est la seule force de police du territoire. Tout officier de l’armĂ©e est un officier de police. » Cet article de règlement nous mettait dans l’obligation, non seulement de remplir les fonctions de police qui pouvaient nous Ă©choir dès notre sortie de l’AcadĂ©mie, mais aussi d’intervenir sans ordre dans toute situation oĂą nous serions tĂ©moins d’une apparente infraction Ă la loi. Et cela, mĂŞme en dehors de nos heures de service. Tout manquement Ă©tait punissable, au point qu’un jour, un commandant de dĂ©partement bien connu Ă l’Ă©poque rĂ©primandait ainsi l’un de ses officiers pour avoir assistĂ© sans intervenir Ă un acte contraire au droit commun : « Alors, lieutenant X, oĂą Ă©tiez-vous Ă ce moment ? » L’officier subalterne de rĂ©pondre : « J’Ă©tais lĂ , mon colonel. » Son commandant d’enchaĂ®ner tout de suite : « Vous Ă©tiez-lĂ comme les pierres Ă©taient lĂ ; vous Ă©tiez lĂ comme les arbres ; vous n’Ă©tiez QUE lĂ , n’est-ce pas ça ? Quelles ont donc Ă©tĂ© vos actions ? »
La responsabilitĂ© Ă©tait la mĂŞme, qu’il s’agĂ®t d’un officier d’infanterie, de marine, d’aviation, du service de transmission ou des transports ; les membres du service de gĂ©nie ou du corps mĂ©dical auraient pu, le cas Ă©chĂ©ant, jouir d’une plus grande tolĂ©rance de fait, mais le principe restait le mĂŞme pour tous. En vertu du devoir d’intervention, l’officier, considĂ©rĂ© comme agent de police, devait alors ĂŞtre en mesure de maĂ®triser par la force un fautif rĂ©calcitrant, armĂ© ou non. D’oĂą le droit au port d’armes, et mĂŞme la nĂ©cessitĂ© de porter son arme de fonction, mĂŞme en dehors du service.
Dans l’article citĂ© plus haut en rĂ©fĂ©rence, j’ai suggĂ©rĂ© d’avoir dans le pays une police et une armĂ©e, en dissociant nettement ces deux institutions. J’ai Ă©voquĂ© le constat que « la police a sa vocation et l’armĂ©e a la sienne, et que c’est une erreur de confier Ă l’une le travail qui doit ĂŞtre fait par l’autre. »
Si, dans les rĂ©formes mises en oeuvre, l’officier de l’armĂ©e n’est pas statutairement un policier, la nĂ©cessitĂ© du port d’armes tombe d’elle-mĂŞme. Le militaire pourra, tout au plus, garder dans sa maison une arme individuelle spĂ©cifiquement autorisĂ©e pour sa protection et celle de sa famille, de mĂŞme que tout citoyen jugĂ© moralement qualifiĂ© par les autoritĂ©s compĂ©tentes. Rien ne justifiera alors, sauf en Ă©tat d’alerte spĂ©ciale dĂ©crĂ©tĂ© par le gouvernement, qu’un militaire hors service gagne les rues ou se prĂ©sente dans un endroit public avec une arme Ă la ceinture. Toute infraction Ă la loi par un quelconque contrevenant serait alors de la compĂ©tence de la police, et un militaire prĂ©sent sur les lieux pourrait proposer son assistance au mĂŞme titre que tout citoyen dĂ©sireux et en Ă©tat de le faire. En temps normal, l’officier se considĂ©rerait comme un technicien dont les outils de travail, en l’occurrence les armes, munitions, etc., seraient laissĂ©s Ă son poste en dehors de ses heures de service. Rappelons, au passage, qu’en temps « normal », autrefois les enrĂ´lĂ©s ne portaient pas une arme individuelle en dehors de leurs heures de service.
On se souvient de la crainte qu’entraĂ®nait parfois la seule vue de l’arme individuelle des militaires. En cas de conflit personnel, le pistolet ou le revolver confĂ©rait souvent au porteur une intimidante supĂ©rioritĂ© de moyens physiques ; certains militaires en profitaient pour exiger un traitement de faveur ou exercer des abus. Ceux-lĂ agissaient, pour la plupart, avec impunitĂ© grâce Ă leurs liens privilĂ©giĂ©s avec le pouvoir politique. Sans l’arme personnelle, il ne fait pas de doute que les rapports entre civils et militaires seraient amĂ©liorĂ©s. Le public se sentirait moins inquiet et l’armĂ©e s’en porterait mieux.
Pour ceux qui ont vĂ©cu dans certains autres pays, il est coutumier de rencontrer dans des endroits publics des militaires sans arme, mĂŞme en uniforme. Aux grands maux, les grandes rĂ©formes, et, parmi les changements Ă opĂ©rer dans la nouvelle institution militaire, le port d’armes devrait aussi ĂŞtre remis en question.
Teddy Thomas
Le 5 novembre 2011
teddythomas@msn.com



No comments yet.