Dans un texte de 170 pages, multipliant les formules chocs, le Saint-Père livre sa vision de l’Église catholique et des principes qui doivent l’animer.
Ce Pape demande comme jamais aux chrétiens de renouveler leur témoignage en «sortant» des habitudes pour proposer le Christ à leurs contemporains non «par prosélytisme mais par attraction». Car, estime-t-il, «tous ont le droit de recevoir l’Évangile».
Non aux «airs de carême sans Pâques»
Tout y passe, donc, en 170 pages, d’un texte dense, écrit de sa main. Le Pape était censé établir une synthèse du «synode sur la nouvelle évangélisation» que Benoît XVI avait convoqué en octobre 2012 (200 évêques, trois semaines de débats) mais le nouveau Pape en tient très peu compte. Il laisse, et c’est très nouveau, aux «épiscopats locaux» le soin d’en tirer les conclusions qu’ils jugeront utiles. Il préfère se concentrer sur ce qu’il a à dire à l’Église catholique qui l’a élu pape le 13 mars dernier.
Premier point d’insistance, la «joie de l’Évangile», titre du document. Le Pape demande à chaque chrétien de «renouveler aujourd’hui même sa rencontre avec Jésus-Christ», de montrer «la miséricorde de Dieu», sa «tendresse», de laisser au vestiaire de l’histoire les «airs de carême sans Pâques», car «un évangélisateur ne devrait pas avoir constamment une tête d’enterrement».
Affaiblir le centre
Second point d’insistance, la réforme de l’Église en commençant par sa tête, la «papauté». Non seulement François se dit «ouvert aux suggestions» sur «un exercice de mon ministère qui le rende plus fidèle aux significations que Jésus-Christ entend lui donner». Mais il appelle de ses vœux une des applications du concile Vatican II que le cardinal Ratzinger, sous le pontificat de Jean-Paul II, a toujours combattu en enterrant ce projet: «un statut pour les conférences épiscopales» leur donnant «une certaine autorité doctrinale authentique».
Ce qui revient effectivement à affaiblir le centre, la papauté, le Vatican, pour donner plus de place aux évêques locaux. De fait, c’est aussi nouveau, l’exhortation apostolique, publiée mardi, contient autant de références à des textes d’épiscopats de différentes régions du monde, qu’à des textes du magistère romain.
Cette volonté de réforme de la culture profonde de l’Église – passer d’une vision centralisatrice et dogmatique, à une vision d’une Église «aux portes ouvertes» pour mieux accueillir – implique une série de petites réformes, qui ne sont pas d’aimables suggestions mais que François demande, de façon très nette, d’appliquer.
Condamnation renouvelée de l’avortement
Par exemple: mettre la morale à sa place pour ne pas «alourdir» les fidèles, parler de l’essentiel du christianisme, à savoir «l’amour de Dieu» – le Pape relance à ce titre le thème conciliaire également controversé de la «hiérarchie des vérités» – ; recours et retour à la «piété populaire» qui parle aux «gens simples» et le rejet de la «spiritualité du bien-être» ; lutte contre le «cléricalisme» et la «mondanité spirituelle» qui utilise l’Église «autocentrée» pour se faire valoir ; catéchèse qui «annonce» vraiment le Christ et qui introduise aux «mystères de la foi» ; vision, non conflictuelle, des autres religions: l’islam en particulier à qui il demande toutefois «humblement» la réciprocité pour la liberté religieuse des chrétiens vivant en pays musulmans.
Cet esprit de réforme va cependant avec deux avertissements non équivoques. Il n’y a aucune évolution à attendre de sa part pour ouvrir le sacerdoce aux femmes. Et aucune concession sur la condamnation extrêmement ferme – renouvelée dans ce texte – de l’avortement. «On ne doit pas s’attendre à ce que l’Église change de position sur cette question. Je veux être tout à fait honnête à cet égard. (…) Ce n’est pas un progrès de prétendre résoudre les problèmes en éliminant une vie humaine.»
L’homélie doit faire «brûler les cœurs»
Outre cette série d’évolutions et de confirmations, cette «exhortation apostolique» contient deux morceaux de choix.
Le premier est un véritable traité de «l’homélie». Le Pape considère que l’homélie du prêtre, lors de la messe, est un moment capital pour évangéliser. Il fustige les prêtres qui ne les préparent pas: c’est «malhonnête» et «irresponsable», car l’homélie doit faire «brûler les cœurs» des fidèles. François donne donc une large série de conseils concrets dignes d’un cours de séminaire, pour bien préparer les homélies.
L’autre morceau de choix est sa condamnation sans appel, déjà exprimée, d’une «économie qui tue» autour d’un «marché divinisé» qui génère «un système injuste à la racine» qui sera à terme cause de «violences» qu’aucun système de «forces de l’ordre» ne pourra contenir si une régulation n’intervient pas. «Je prie le Seigneur, écrit-il, qu’il nous offre davantage d’hommes politiques qui aient vraiment à cœur la vie des pauvres.» En affirmant cela, il reconnaît qu’il a conscience de «déranger»: «C’est gênant de parler de solidarité internationale (…), de parler de défendre des emplois (…), de parler d’un Dieu qui exige un engagement pour la justice.» Mais, dans son esprit, il n’y a pas d’évangélisation, sans cette forte «dimension sociale».