Le protocole signé, le dialogue est sur les rails

République et les acteurs politiques se mettent d’accord pour dialoguer. Large sourire. Poignées de main. Accolades amicales. Le tableau frise le surréalisme. Les accusations, les dénonciations et les critiques acerbes font place à la tolérance et à un climat de sérénité. Pendant quelques heures ce vendredi dans cette grande salle de l’hôtel El Rancho, le pays a lu ce qui manque à son développement. L’entente nationale.

Avant de commencer la cérémonie devant lancer le dialogue, une petite discussion pour savoir qui va s’asseoir aux extrémités des tables. Une solution est rapidement trouvée. Ces places qui mettent leurs occupants en position de supériorité sont occupées par les parlementaires, le chef de l’Etat et le cardinal. En bons religieux, les évêques de la Conférence épiscopale d’Haïti donnent le coup d’envoi de l’événement par une prière suivie de l’hymne national.

Ensuite, Son Eminence le cardinal Chibly Langlois prend la parole pour accueillir les acteurs politiques et donner officiellement le coup d’envoi des pourparlers. « Le dialogue permet de trouver un accord pour une sortie de crise », avance le prélat avant de faire un rappel du contexte dans lequel l’Eglise catholique s’est proposée de jouer le rôle du médiateur dans la crise. « Le dialogue est le premier pas sur la route du changement », renchérit-il, soulignant qu’aucun pays ne peut se développer dans le trouble et l’instabilité.

Selon le prélat, dans les situations difficiles, on doit trouver ensemble les solutions. La réussite de la première rencontre, mercredi, entre les partis politiques à l’hôtel Karibe pousse l’homme d’Eglise à croire que nous pouvons y arriver. « Ce dialogue inter-haïtien, personne ne peut le faire à notre place. Nous ne devons pas accepter de léguer à la postérité un pays ravagé par les querelles et les divisions intestines… », exhorte-t-il.

Cette recherche de solution doit se faire dans la vérité, souligne à l’encre forte le chef de l’Eglise catholique en Haïti. « … nous serons tous gagnants… »

Le président Martelly qualifie d’historique cette rencontre qui ouvre les pourparlers. Il se réjouit du fait que le dialogue est interhaïtien, conçu par les Haïtiens et conduit par les Haïtiens. « Je suis certain qu’avec la bonne foi de tous les acteurs, nous arriverons à un consensus », dit-il. Selon le chef de l’Etat, bien que son appel au dialogue le 14 août 2013 ait été avorté, « j’ai continué à privilégier la voix de la concertation… »

Pour Michel Martelly, les partis politiques sont des éléments clés de notre système politique. « Chef de l’Etat, je dois m’assurer que les partis politiques jouent leur véritable rôle de stabilisation et de régularisation de la vie politique », affirme-t-il avant d’ajouter que « de grandes échéances nous attendent au cours des jours, des mois et des années à venir. Vous, responsables de partis, qui êtes présents dans cette salle, vous devez tous ensemble vous préparer à faire face à ces échéances cruciales pour notre pays. »

Selon le locataire du palais national, le taux de participation aux élections présidentielles est passé de 60% en 2006 à environ 23% en 2010. Sur environ 100 partis reconnus en 2010, près de 40 ont participé aux élections législatives de 2010. Sur ces 40, seulement 12 ont eu des représentants au Parlement, avance-t-il avec précision.

Le chef de l’Etat affirme que ce dialogue est certainement un moment propice pour réfléchir ensemble sur les dangers pour notre jeune démocratie causés par l’émiettement de notre paysage politique et l’indifférence de la majorité des citoyens vis-à-vis des joutes électorales et des structures politiques. « Ce dialogue est aussi une occasion de réfléchir sérieusement sur les problèmes de gouvernance liés au dysfonctionnement ou au fonctionnement irrégulier des partis politiques dans un pays en transition démocratique comme le nôtre », ajoute-t-il.

Prenant la parole au nom des partis politiques, Edmonde Supplice Beauzile, présidente de la Fusion, fait carrément savoir au chef de l’Etat que : « Si nous en sommes là, c’est parce que vous n’avez pas toujours su conduire la barque nationale comme il se devrait, dans le respect de la Constitution et des lois de la République. »

L’ancienne sénatrice enfonce le clou : « Nombre de vos actions et de vos manquements ont contribué à diviser la nation et à faire naître un climat délétère fait de méfiance et de suspicion. Nous ne mentionnerons que le fait que les élections n’ont été organisées ni en 2011, ni en 2012, ni en 2013 et votre refus de publier, comme la Constitution vous y oblige, les noms des juges désignés à la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif. »

En bon politicien, après avoir encorné le chef de l’Etat, Edmonde Supplice Beauzile passe la main sur le président dans le sens des poils. « Toutefois, nous reconnaissons que des pas ont été faits dans la bonne direction, tels la publication de la loi électorale et celle sur les partis politiques ainsi que le respect du mandat des sénateurs », dit-elle avec douceur.

Tous les partis politiques ne sont pas présents à cette cérémonie d’ouverture, fait remarquer le sénateur Steven Benoît prenant la parole au nom des parlementaires. « Ceci est l’expression de la vie démocratique du pays dont l’évolution pourra toujours amener les absents à nous rejoindre dans les jours à venir. Je fais appel à leur esprit d’abnégation et à leur patriotisme pour qu’ils donnent une chance à cet espace d’échange qui nous est offert », faisant référence à Fanmi Lavalas et au MOPOD sans les citer.

Selon le parlementaire, le moment est venu de faire appel à la lucidité de chacun pour bien aborder les points en discussion, « tout en gardant à l’esprit qu’avant nos intérêts de chapelle viennent ceux de notre peuple et de notre nation que nous avons choisis, de défendre de notre mieux. L’opinion nationale nous observe de près, ne la décevons pas. »

« Nous nous devons de produire des résultats qui permettront aux trois pouvoirs de l’État d’exercer leurs prérogatives constitutionnelles dans un esprit de collaboration et de respect mutuel. Ces résultats se concrétiseront, entre autres, dans la réalisation, avant la fin de l’année 2014, d’élections libres, transparentes, démocratiques et inclusives », lance le sénateur de l’Ouest.

Un considérant a failli gâcher la fête.

La rencontre se déroulait parfaitement bien quand la CEH a demandé la lecture du protocole de dialogue avec sa signature pour tous les acteurs politiques. Cette partie du protocole stipulait initialement : « Considérant que chaque acteur est conscient de son incapacité à résoudre seul les problèmes d’ordre tant conjoncturel que structurel et reconnaît la nécessité de trouver une solution haïtienne concertée et consensuelle à la crise actuelle ». Michel Martelly fait objection. Son conseiller Grégory Mayard-Paul monte au créneau pour exiger l’amendement de ce considérant. Selon lui, le chef de l’Etat ne peut pas se trouver dans l’incapacité.

Après une vingtaine de minutes de négociation et de proposition, les parties ont fini par se mettre d’accord sur cette formulation : « Considérant que chaque acteur reconnait la nécessité de trouver ensemble des solutions haïtiennes appropriées aux problèmes du pays ». Après quoi, les parlementaires, les politiques et le président de la République ont signé le document dans la joie avant d’aller manger ensemble.

Quelques points du protocole de dialogue

Selon le protocole, la médiatrice (CEH) ne dépend d’aucune partie en présence d’aucune manière même pas économique et elle est neutre et impartiale. Les parties acceptent délibérément le leadership de la médiatrice. Elles s’engagent à collaborer sans réserve avec la médiatrice…

« Chaque partie est consciente que son retrait discrétionnaire du dialogue pourrait entraver la bonne marche de ce processus. Aussi entendent-elles s’efforcer à demeurer et protéger le processus jusqu’à l’atteinte des objectifs », selon le protocole.

« Si l’abandon du dialogue par des parties entraîne l’échec des pourparlers et rend impossible la réalisation des objectifs, la médiatrice met fin au dialogue… La médiatrice se réserve le droit de renoncer à tout moment à sa mission si, sans faute de sa part, il est impossible d’atteindre les résultats escomptés. »

Encore une fois, l’organisation Fanmi Lavalas et le MOPOD ont brillé par leur absence. Les assises du dialogue débutent la semaine prochaine loin des micros des journalistes. Seule la CEH est habilitée à parler des rencontres dans la presse. Politiciens, dialoguez et taisez-vous !

Robenson Geffrard
rgeffard@lenouvelliste.com

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