Le gouvernement dominicain a annoncé qu’il appliquera la décision de la Cour constitutionnelle enlevant la nationalité aux Dominicains d’ascendance haïtienne remontant jusqu’à 1929.
On a calculé que ce sont plus de 300.000 personnes qui seront affectées, dont la majorité n’ayant jamais mis les pieds en Haïti.
Après une rencontre entre le Conseil national de la migration (réunissant les différents départements intéressés à la question) et le président de la république, Danilo Medina, un porte-parole gouvernemental a annoncé que l’exécutif respectera l’arrêt 168-3 de la Cour constitutionnelle, cela en vertu du respect de l’indépendance des trois pouvoirs de l’Etat.
Puis, citant une déclaration précédente du président Medina, le porte-parole a poursuivi : ‘en dépit de cette décision, il y a un problème humain que nous devons résoudre (…). L’Etat est sensible à la détresse de ceux qui se considèrent comme des Dominicains et qui s’estiment lésés dans leurs droits suite à cette décision.’
Résidence légale temporaire …
La réponse de l’Etat dominicain n’a pas tardé. Cela dans une déclaration du directeur général de l’immigration dominicaine, Jose Ricardo Taveras (parue dans la publication Dominican Today, 25 Octobre 2013) : ‘Tous les immigrants peuvent obtenir une résidence légale temporaire.’
Ricardo Taveras était interrogé sur le cas de la Dominicaine Juliana Deguis, à qui l’immigration a refusé pendant longtemps un passeport.
‘C’est une procédure très simple, a dit le chef de l’immigration dominicaine. Nous attendons Juliana comme tous les autres qui ont le même problème. Et qui vont pouvoir travailler, étudier et exercer toutes les activités de la vie civile avec les mêmes droits et devoirs reconnus à tout citoyen résidant légalement dans un pays’ (étranger).
Juliana Deguis est née de parents haïtiens vivant depuis longtemps dans la république voisine.
Plus de participation à la vie politique …
Voici donc la décision finale de l’Etat dominicain : les Dominicains nés de parents haïtiens, même depuis 5 générations, ne sont plus citoyens dominicains. En vertu du changement opéré par la décision de la Cour constitutionnelle, ils deviennent des résidents légaux.
Avec, comme dit le directeur général de l’immigration, tous les droits et devoirs reconnus à tout citoyen résidant légalement dans un pays.
C’est à dire le droit de travailler, de bénéficier des services publics (santé, éducation etc) joint au respect des obligations fiscales et autres.
Cependant en perdant la citoyenneté on perd le droit de participer à la vie politique. Non seulement d’être candidat ou électeur lors des compétitions électorales à tous les niveaux, mais peut-être aussi les droits syndicaux et de participation à quantité d’autres activités de la vie civile. Citoyenne …
Droits de propriété ? …
On ne sait pas si cela n’entraine pas aussi des restrictions au niveau du droit de propriété ainsi que de l’exercice de certaines professions comme celle d’avocat, ou de notaire, ou de professeur d’université, ou même de journaliste. Voire d’employé de l’administration publique ou fonctionnaire de l’Etat, surtout à un degré supérieur.
Et jusqu’au droit à la pension publique pour le troisième âge.
La résidence légale peut être révoquée …
Mais le plus grave, la citoyenneté est acquise pour la vie (bien que nous voyions que ce n’est pas le cas avec le verdict des ‘grands juges’ dominicains inspiré par l’emprise de l’extrême-droite anti-haitianiste dans l’actuelle coalition au pouvoir à Santo Domingo) mais la résidence légale peut être révoquée à tout moment par décision judiciaire. Ou politico-judiciaire.
Aux Etats-Unis c’est le cas des déportations d’immigrant qui se sont rendus coupables de crimes ou délits et qui sont renvoyés dans leur pays d’origine. Cette catégorie appelée en Haïti les ‘déportés’ …
Mais le problème n’est pas pareil en République dominicaine où s’est développée de toute évidence une mentalité anti-haïtienne sous l’impulsion de cette ultra droite infiltrant principalement les secteurs politiques, religieux (dont l’archevêque de Santo Domingo lui-même) et médiatiques.
Pour un oui ou un non, la résidence légale peut être révoquée. D’ailleurs dans ses déclarations reproduites dans Dominican Today, Jose Ricardo Taveras dit : ‘Tous les immigrants peuvent obtenir la résidence temporaire.’
Donc devant être renouvelée régulièrement.
Tous ceux-là seront appelés à aller solliciter un acte de naissance à la Junte Centrale Electorale, qui statuera sur leur cas. Au cas par cas.
Enfin rappelons que le directeur de l’immigration ne parle pas d’immigrants illégaux récents mais de citoyens nés dans le pays voisin et qui en ont depuis toujours été des citoyens à part entière. Donc sans aucun lien avec Haïti sinon que leurs parents sont venus de ce pays.
Pourquoi on dit que ce sont désormais des sans-nationalité ou apatrides de force, parce que n’étant pas non plus haïtiens de nationalité.
A quoi l’extrême droite dominicaine répond par une entourloupe : selon la Constitution haïtienne en vigueur est Haïtien toute personne dont l’un des deux parents est haïtien de naissance !
Jus solis ou droit du sol …
Pendant que tombent ces nouvelles, en France l’extrême droite (Front national – FN de Marine Le Pen) et une partie de la droite (sarkoziste) appellent aussi à l’abandon du jus solis ou droit du sol autorisant toute personne qui nait dans tel pays à en avoir la nationalité. Comme c’était aussi le cas en République dominicaine.
Par contre aux Etats-Unis tout immigrant légal peut obtenir la citoyenneté après un certain nombre d’années.
Haïti est pourtant une poule aux œufs d’or pour son voisin …
Mais le cas de la République dominicaine n’est pas pareil. Parce que nous parlons d’un pays qui occupe la même île que nous autres, mais que déjà les deux peuples désignent différemment. Kiskeya (nom indien) pour les Haïtiens et Hispaniola (ou Petite Espagne) pour nos voisins dominicains qui tiennent davantage à la part européenne de leur origine.
Mais de plus, la situation économique des deux pays est très différente. Le PIB dominicain est de US$5.228 et celui d’Haïti US$672 (chiffres relevés en 2010).
En comparaison le produit par habitant des USA est égal la même année à US$47.283, Canada US$46.214 et les Bahamas : US$21.878.
Cependant Haïti constitue le second partenaire commercial pour son voisin – avec une balance commerciale totalement inéquilibrée – et son premier client en termes d’importation de produits de consommation courante.
Enfin ce décalage économique est aussi cause d’une émigration sauvage par la frontière terrestre entre les deux Etats.
Mais ce n’est pas fini, après le séisme qui a détruit en 2010 la capitale haïtienne, ce sont des firmes dominicaines qui ont obtenu en priorité les contrats de reconstruction.
En un mot, Haïti est aujourd’hui la poule aux œufs d’or pour nos voisins.
Comment peuvent-ils choisir alors de traiter non pas nos ressortissants mais leurs propres citoyens (en tout cas jusqu’ici) parce que descendants des habitants d’un pays mais qui leur procure tant d’avantages ?
Fascistes ! …
C’est le genre de logique qui ne se pose pas pour des fanatiques ni pour des fascistes comme ceux qui dominent actuellement le pouvoir à Santo Domingo.
La République dominicaine n’est pas aujourd’hui le seul pays à avoir un problème d’immigration.
C’est le cas surtout aujourd’hui de l’Italie sur les rives de laquelle viennent mourir des centaines de réfugiés venant de l’autre bout du continent africain.
Mais il ne faut pas confondre problème d’immigration et la question de nationalité posée par les Dominicains.
Si c’était l’immigration leur problème, il suffirait de construire un mur (même électronique) le long de la frontière comme l’ont fait les Etats-Unis avec le Mexique.
Mais on veut garder l’immigration haïtienne comme source de main d’œuvre à volonté, taillable et corvéable à souhait.
C’est donc plutôt une démarche tout à fait raciste, xénophobe, anti-noire ou anti-africaine au nom d’un peuple (également métissé) mais dont une certaine élite, actuellement au pouvoir, désire soi-disant protéger son origine blanche hispanique.
Colonisation …
Mais vu l’apport économique d’Haïti au pays voisin, plus que de discrimination, ne s’agit-il donc pas ici également de colonisation. Ou comment enrichir un pays pour n’en recevoir en échange que son mépris.
Colonisation économique, colonisation ethnique. En attendant …
Evidemment, et c’est le mot de la fin : la balle est dans le camp d’Haïti !!!
Haïti en Marche, 26 Octobre 2013., Haiti en Marche., http://haitienmarche.com/index.php?option=com_content&view=article&id=7290