L’Iran et les puissances occidentales ne cachent pas leur satisfaction de l’aboutissement des négociations de Genève. Maisd’autres pays, notamment Israël et l’Arabie saoudite, n’y trouvent pas leur compte.
Le traité historique conclu le samedi 23 novembre, tard dans la nuit, entre l’Iran et la communauté internationale a été accueilli avec une grande joie à Téhéran, avec une profonde satisfaction parmi les grandes puissances de la planète et une réelle déception parmi plusieurs pays du Moyen-Orient. Les gagnants sont :
L’Iran
Téhéran se félicite de cet accord. Il intervient après les quatre séries de sanctions économiques imposées à l’Iran par la communauté internationale ces dernières années, sanctions qui ont considérablement nui à l’économie iranienne. Les négociations de Genève, et l’accord historique auquel elles ont abouti arrachent la République islamique à l’isolement et lui apportent une bouffée d’oxygène, du moins pendant les six mois qui vont précéder la signature d’un accord permanent.
Dans le cadre de l’accord, l’Iran voit les sanctions levées dans plusieurs secteurs, notamment les métaux, les pièces détachées de véhicules et d’avions, les produits pétroliers raffinés (ce qui représentait un manque à gagner de 7 milliards de dollars). Plus important encore, il a été conclu que d’autres sanctions ne seraient pas imposées à l’Iran, contrairement à ce que réclamait Israël. Autres avantages pour les Iraniens : ils peuvent continuer à enrichir l’uranium, même si ce n’est pas au-delà de 5 %, et conserver leurs centrifugeuses. Toutefois, Téhéran aura plus de mal à dissimuler ses activités nucléaires, car il s’est engagé en vertu de l’accord à autoriser une surveillance accrue de ses sites nucléaires.
Le président iranien
Hassan Rohani est arrivé à ses fins en décrochant un accord qui permet à l’Iran de poursuivre l’enrichissement de l’uranium, même si les seuils sont abaissés. Ses opposants les plus intransigeants auraient bondi s’il avait été question de sacrifier l’indépendance nucléaire de l’Iran. Le guide suprême Ali Khamenei a déclaré que renoncer à l’enrichissement était une “ligne rouge” dans les pourparlers.
Les Etats-Unis
Obama a été très critiqué après avoir refusé d’attaquer la Syrie et a préféré faire cause commune avec les Russes sur un accord visant à démanteler l’arsenal chimique syrien. En ce qui concerne la question iranienne, Obama a également opté pour l’option diplomatique, et pour cela il a écarté tous les “va-t-en guerre” de son gouvernement afin d’atteindre son objectif – un accord nucléaire avec l’Iran. En 2009, Obama a reçu le Prix Nobel de la Paix, alors même qu’il n’avait encore conclu aucun traité de paix digne de ce nom. Il a maintenant deux accords à son actif – l’un avec la Syrie, l’autre avec l’Iran. Il est encensé par la communauté internationale.
L’Union européenne
Catherine Asthon, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a passé les derniers mois en longs débats avec les représentants iraniens, notamment Mohammad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères. Pendant toutes les discussions, Ashton a prôné une solution diplomatique, et pour l’instant, il semble que son point de vue l’ait emporté.
La Russie
Comme dans le cas de la Syrie, Moscou a refusé d’alourdir les sanctions contre l’Iran et a appelé à négocier en vue de trouver une solution diplomatique. Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a déclaré dimanche matin 24 novembre, que dans l’accord conclu à Genève, il n’y avait ni perdants, ni gagnants. Mais celui qui se considère comme le vrai gagnant est Vladimir Poutine. Une nouvelle fois, Poutine a refusé l’option militaire, et il n’a guère été impressionné par les pressions du Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.
Les pays asiatiques consommateurs de pétrole iranien
Les sanctions frappant les exportations de pétrole iranien resteront en place durant la période de six mois couverte par l‘accord, mais tant que Téhéran respecte les termes de ce dernier, les puissances mondiales ne prendront aucune nouvelle mesure économique contre l’Iran. Un engagement accueilli avec soulagement par les économies asiatiques grandes consommatrices d’énergie comme l’Inde, la Chine et le Japon qui, grâce à la bienveillance de Washington, pourront continuer d’importer du pétrole iranien.
Dubaï
Bien avant qu’elle ne devienne un symbole d’excès flamboyants, la cité-Etat du Golfe avait prospéré grâce à sa situation géographique, au carrefour des échanges commerciaux avec des pays comme l’Iran. Ses ports et ses terminaux de fret aérien regorgeaient jadis de biens destinés à l’autre rive du Golfe [l’Iran]. Les sanctions ont durement touché le commerce traditionnel et les moyens d’existence d’une grande partie de l’importante diaspora iranienne à Dubai. Aussi, se félicite-t-on à Dubaï de tout ce qui permettra de reprendre les affaires avec l’Iran, même de manière limitée.
Dans le camp des perdants se trouvent :
Israël
Nétanyahou n’a pas ménagé ses efforts pour contrecarrer le programme nucléaire iranien. Il a évoqué devant les Nations unies les camps de la mort d’Auschwitz.
La campagne menée par le Premier ministre israélien et son gouvernement a donné lieu à un conflit ouvert entre Israël et Washington. Nétanyahou a réclamé un renforcement des sanctions de manière à neutraliser le programme nucléaire iranien. Il a fait savoir que tout accord conclu avec Téhéran n’engagerait en rien l’Etat hébreu, qui se réserve le droit à se défendre. Le traité signé à Genève n’entraînera ni interruption de l’enrichissement d’uranium par les Iraniens, ni suppression de centrifugeuses ou de réacteurs à eau lourde. Et pour comble, il ne prévoit aucune sanction supplémentaire contre l’Iran.
L’Arabie saoudite, les Etats du Golfe
Même si l’Arabie saoudite et les pays du Golfe n’entretiennent pas de relations diplomatiques avec l’Etat hébreu, comme ce dernier ils s’inquiètent de l’influence et des ambitions de Téhéran dans la région. Aussi, ont-ils secrètement noué des liens chaleureux avec Israël, avec lequel ils ont engagé un dialogue sur les sujets relatifs à la défense et aux intérêts stratégiques.
Riyad et ses voisins sunnites voient d’un mauvais œil l’accord de Genève. L’Arabie saoudite a d’ores et déjà prévenu qu’elle restera vigilante tant que le programme nucléaire iranien ne sera pas supprimé, ce qui laisse à penser qu’elle pourrait elle-même essayer de se doter d’un armement nucléaire.
Riyad, qui donne généralement le la pour l’ensemble des Etats du Golfe, a exhorté Washington à durcir le ton contre l’Iran, un voisin considéré comme dangereux. Après la signature de l’accord, des voix se sont élevées en Arabie saoudite pour mettre en garde contre les contreparties obtenues par Téhéran en échange de ses quelques concessions. Les Saoudiens sont convaincus de l’ingérence des Iraniens dans leur vie politique.
Les réactions au Moyen-Orient
Le Liban
Dans le camp du Hezbollah, certains ont d’ores et déjà exprimé leur satisfaction. La semaine dernière, son dirigeant Hassan Nasrallah s’est dit convaincu que l’Iran, comme sa propre organisation, sortiront renforcés des négociations. “C’est la première fois, souligne un parlementaire libanais soutenant le Hezbollah, que les Etats-Unis n’ont pas imposé un accord favorable à Israël aux dépens des pays de la région”.
La Syrie
Le ministre syrien des Affaires étrangères s’est empressé de publier une annonce dans laquelle il se réjouissait de cet événement “historique”. Selon lui, les termes de l’accord préservent les intérêts de la nation iranienne et reconnaît son droit à utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Désormais, le seul obstacle aux efforts en vue de débarrasser le Moyen-Orient des armes de destruction massive est, à ses yeux, le fait qu’Israël demeure le seul pays de la région qui possède des armes nucléaires et qui refuse de placer ses installations sous la supervision de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
Courrier International., http://www.courrierinternational.com/article/2013/11/25/les-gagnants-et-les-perdants-de-l-accord-nucleaire?page=all