Météo peu clémente sur les relations Haïti-République Dominicaine.

Alter Presse

Par Gotson Pierre

— La configuration des relations bilatérales haïtiano-dominicaines est remise en causeavec les derniers développements de l’actualité, notamment l’arrêt du 23 septembre 2013 de la cour constitutionnelle de la République Dominicaine, qui supprime la nationalité de plus de 200.000 Dominicains d’origine haïtienne.

C’est ce qu’estime le président Michel Martelly, qui s’est exprimé lors d’une réunion spéciale du bureau des chefs d’État de la Communauté Caraïbe (CARICOM) à Trinidad le 26 novembre dernier, mais qui ne s’est jamais adressé formellement à la nation haïtienne sur le sujet.

« La décision de la cour constitutionnelle dominicaine vient incontestablement remettre en cause la configuration des relations bilatérales haïtiano- dominicaines, telle qu’elles se sont construites et développées depuis la deuxième moitié du 20è siècle », déclare Martelly dans son discours de Trinidad, dont a pris connaissance AlterPresse.

« Tout naturellement, le gouvernement haïtien est très préoccupé par cette décision qu’il condamne avec la plus grande vigueur, aussi bien par principe que pour des raisons d’ordre légal et humanitaire », poursuit le chef d’État haïtien.

Il annonce que « l’État haïtien a entrepris des représentations officielles auprès des autorités dominicaines » en vue, entre autres, de faire valoir que la décision de la cour « revêt toutes les apparences d’une procédure exceptionnelle ciblant une communauté particulière », donc « attentatoire aux droits humains fondamentaux ».

« Le Gouvernement haïtien est très préoccupé par cette décision qu’il condamne avec la plus grande vigueur, aussi bien par principe que pour des raisons d’ordre légal et humanitaire », insiste Martelly.

On sait qu’à l’issue de cette réunion, la CARICOM a vigoureusement condamné la décision dominicaine jugée odieuse et discriminatoire. Les Etats membres ont réitéré « leur appel au gouvernement de la République dominicaine pour qu’il prenne, de toute urgence, les mesures politiques, législatives, judiciaires et administratives nécessaires pour remédier à la gravesituation humanitaire que peut provoquer cette décision ».

Contre-offensive dominicaine

Ce développement a, de toute évidence, froissé la République dominicaine, qui a unilatéralement suspendu tout dialogue avec Haïti sur ce dossier et a rappelé pour consultation, le 27 novembre, son ambassadeur à Port-au-Prince, Ruben Silie.

Le gouvernement dominicain accuse les autorités haïtiennes de violer les termes d’une « déclaration conjointe » signée par le ministre des affaires étrangères d’Haiti, Pierre-Richard Casimir, et le ministre de la présidence de la République Dominicaine, Gustavo Adolfo Montalvo Franco, suite à un round de pourparlers le 19 novembre au Venezuela.

L’ambassadeur haïtien à Santo Domingo, Fritz Cinéas, a pour sa part été convoqué par le chancelier dominicain, José Manuel Trullols, afin d’être notifié de la position du gouvernement dominicain, « très préoccupé par le non respect de la déclaration conjointe de la part du gouvernement haïtien ».

Les « bons offices » du Venezuela

Le Venezuela s’est offert comme « facilitateur » à un dialogue entre la République Dominicaine et Haïti autour de la sentence de la cour constitutionnelle dominicaine. Le Venezuela pourrait avoir été « poussé » par la République Dominicaine à jouer ce rôle afin de diminuer la tension créée dans les relations entre les deux nations, suggèrent des experts. Ceci, officiellement à la recherche d’une solution « autonome », non tributaire d’instances régionales comme l’Organisation des États Américains (OEA) et les grandes puissances.

A signaler que la CARICOM a félicité l’intervention du Venezuela, tout en décidant d’interpeller l’OEA. Elle soutient une visite de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme en République Dominicaine et demande un avis consultatif de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme. Elle examinera également l’introduction d’une résolution à l’Assemblée Générale des Nations-Unies pour condamner la décision de la cour constitutionnelle dominicaine.

Les pourparlers du Venezuela ont tourné court et n’ont été qu’un dialogue de sourds, selon des informations obtenues par AlterPresse. Haïti a soutenu que la sentence de la cour est une « affaire interne », mais qui affecte des citoyens dominicains qui sont en même temps une part de la « diaspora haïtienne ». Ce pourquoi, Haïti exprime sa préoccupation auprès des pays de la région, des institutions internationales et du monde entier.

Cette attitude a été interprétée par les membres de a délégation dominicaine comme faisant partie d’une campagne contre leur pays.

36 heures plus tard, une déclaration conjointe soumise par le Venezuela sera signée entre les deux parties. Document qui sera interprété à Santo Domingo comme une acceptation par Haïti de la sentence.

Mais dernières démarches haïtiennes tendraient à démentir une telle interprétation et ne contribueraient pour le moment pas à faire baisser les pressions internationales sur le pays voisin. Voilà qui, en partie, aurait mis la République Dominicaine en rogne.

Éléments incontournables de contexte

Au moment où des nuages s’amoncellent sur les relations haitiano-dominicaines, nous apprenons de source digne de foi qu’une « Cellule République Dominicaine » serait constituée au ministère haïtien des affaires étrangères, afin d’analyser les informations disponibles sur l’évolution de l’affaire et faire des recommandations au ministre.

Mais tout cela se passe dans une conjoncture fragile pour l’administration Martelly, qui fait face à un mécontentement grandissant et une opposition de plus en plus virulente. Les critiques se multiplient sur l’arbitraire et la corruption qui caractérisent le régime.

A propos de corruption, Martelly a été précisément éclaboussé en avril 2012 par un scandale de pots-de-vin, révélé par la journaliste dominicaine Nuria Pierra. Selon l’enquête de la consoeur, Martelly aurait reçu de l’influent sénateur dominicain Felix Bautista (proche du président Léonel Fernandez) 2,5 millions de dollars américains avant et après son élection à la présidence, ce qui a été démenti par la présidence haïtienne.

Entre-temps, en République Dominicaine, certains spécialistes consultés par AlterPresse s’accordent sur le fait des « espaces importants du pouvoir d’État » sont occupés par un courant politique organisé articulé autour de « l’idéologie de l’anti-haitianisme », sorte de « masque du racisme anti-noir ». Ces milieux sont mêmes comparés hypothétiquement à des groupes néonazis ou néofacsistes en Allemagne et en Italie.

Cette tendance pèserait beaucoup dans les violences qui ont affecté, le week-end écoulé, les ressortissants haïtiens de Neyba, au sud de la République Dominicaine. Entre 4 et 8 Haïtiens ont été lynchés et plus de 450 autres rapatriés suite au double assassinat présumé le 22 novembre de 2 Dominicains, Jose Mendez Diaz et son épouse Luja Encarnacion Diaz.

Il ne serait pas étrange que ce genre d’épisode violent se reproduise dans les semaines ou mois à venir, s’est inquiété une source proche de la diplomatie des deux pays.

Alter Presse.,  Par Gotson Pierre.,    http://www.alterpresse.org/spip.php?article15560#.Upc9qhxBlvA