Pour un rhum importé, Bicha avilit le vaudou et Barbancourt

 

Le Nouvelliste | Publié le : 04 novembre 2013

Tonton Bicha s’attire la foudre des critiques à cause d’une pub pour le rhum Bakara. Jacky Baboun, l’un des responsables de l’entreprise, dément, explique et partage ses plans.

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Comédien, publiciste, Tonton Bicha crève l’écran et « inonde » les ondes. Son secret se résume en un parfait brassage de liberté linguistique, d’humour et d’intelligence. Il est la poule aux œufs d’or, l’icône des pubs qui fait exploser les ventes. A son actif, il compte des classiques.
Mais pas que ça ces temps-ci. Sa dernière pub pour le rhum Bakara l’expose à la foudre de certaines critiques. On digère mal le label « rhum culturel » accolé à Bakara, la banalisation de la préséance à des boissons étrangères et le dialogue d’un adepte vaudou avec un houngan qui descend en flamme « Pa ban m kou » (Barbancourt), la plus ancienne entreprise haïtienne avec plus de 150 ans au compteur. «
Cette publicité est avilissante pour le culte vaudou et pour Barbancourt, un produit national », s’indigne Max Beauvoir, ati national. « Le vaudou a été traité de manière triviale. On ne le ferait pas à une autre religion », soutient le chef suprême du culte vaudou en Haïti. « Il faut cesser aussi tôt que possible la diffusion de cette publicité », recommande Max Beauvoir. «
C’est une honte que l’on ait associé des pratiques culturelles à un produit de consommation », selon l’écrivain Lyonel Trouillot. Dans ce cas-ci, avance Trouillot, « la publicité a dépassé ses droits ». « Rhum culturel ? ». « C’est de la bêtise. Je ne commente pas ça », tance Lyonel Trouillot. «Bicha a du talent. C’est dommage qu’il l’ait mis au service d’une telle grossièreté », indique Lyonel Trouillot.
Pour l’agronome Joël Ducasse, l’appellation Bakara « rhum culturel » dans « cette publicité abjecte » est une « mystification qu’il faut interdire ». « C’est un rhum importé de la République dominicaine. Il est fait spécialement pour Haïti », explique Joël Ducasse, outré par ce qu’il appelle le « projet de pauvreté mis en place par des éléments de l’élite économique au détriment des masses rurales». « Bakara fait de la compétition au clairin et participe à appauvrir tout le bas Plateau central, St-Michel de l’Attalaye et Léogâne », tempête Ducasse, ajoutant que le marché du clairin a représenté il n’y a pas longtemps un peu plus de 30 millions de dollars américains par an. «
Je trouve sa publicité très malsaine de nos jours », pense Jean Maxime Léonard, déplorant l’absence de la « fibre citoyenne et patriotique » chez beaucoup de gens dans le pays. « Comment un artiste peut-il participer à déconstruire un produit national aussi prestigieux que le rhum Barbancourt qui a fait notre fierté de peuple au cours des ans au profit d’un produit étranger?, se demande Jean Maxime Leonard, détenteur d’un diplôme en sociologie. «
Je doute fort (dans ma grande tolérance naïve) que le concepteur de cette publicité soit Haïtien ! Sinon, comment expliquer qu’à un moment où la République dominicaine prend une décision raciste contre notre peuple, un publicitaire du terroir, pour faire de l’esprit, – un produit national au profit d’un autre de bas carat provenant de chez le voisin? », s’interroge Myria Charles ou Sister M*. « C’est tout simplement honteux et navrant », croit l’animatrice de la très prisée chronique De vous à moi dans Ticket Magazine et à Magik 9.
Rhum culturel ? « Je trouve tout simplement très osé – frisant même le ridicule – de citer dans une publicité une culture théologique nationale (déjà assez décriée malheureusement) pour rabaisser un produit local, un symbole de fierté pour les Haïtiens », souligne Myria avant d’ajouter que Barbancourt, crée des milliers d’emplois directs et indirects à travers Haïti. «
C’est choquant. Je regrette que mon ami Bicha ait prêté sa voix et son talent à cette provocation », confie Edner Jean de Communication plus. Avec cette publicité qui est « une attaque frontale, dénigrante contre un compétiteur, une frontière a été franchie ». Dans aucun pays au monde on n’aurait accepté qu’un « produit étranger » puisse attaquer un produit comme Barbancourt qui fait la fierté du terroir, explique l’ex-journaliste et publicitaire, outré par l’usage fait du culte vaudou dans la publicité du rhum Bakara.
« On peut séduire mais pas mentir. Les publicitaires ont intérêt à respecter la dimension éthique de la publicité », confie le professeur de sociologue à l’UEH, Hérold Toussaint. « Il ne faut pas prendre les récepteurs pour des cons », indique-t-il.
Les tentatives pour obtenir un commentaire de Tonton Bicha se sont révélées infructueuses.
Joint au téléphone, Jacky Baboun l’un des responsables de rhum Bakara, rejette les critiques. « Dans huit mois, Bakara sera produit nationalement. L’usine en construction à Croix-des-Bouquets est à un stade avancé, explique Jacky Baboun.
Nous savons que rhum Bakara va se faire en Haïti, c’est pour cela que nous avons accepté que Bicha utilise le concept rhum culturel », poursuit-il, ajoutant avoir créé du travail dans le pays entre-temps. « Nous sommes en contact avec les producteurs d’alcool à travers le pays afin d’acheter à la longue la matière première indispensable à notre production », explique Baboun. Rhum Bakara fera beaucoup d’efforts et concentrera des investissements afin d’avoir ses propres plantations de canne à sucre, confie-t-il, sans faire fi des difficultés liées à la production en Haïti. Du bouchon à la bouteille, on est obligé d’importer.
C’est aussi le cas de 90 % des fabriquants locaux, selon l’homme d’affaires.
Jacky Baboun, d’un autre côté, souligne que le nom de son compétiteur n’a jamais été cité dans la publicité de Tonton Bicha. « Nous ne citons pas le nom d’autres rhums », insiste Baboun. « Nous sommes tranquille, nous travaillons », explique-t-il, ajoutant que rhum Bakara est très impliqué dans la promotion de la culture haïtienne.
Roberson Alphons

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