Stopper la dérive du pays

 

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Les derniers évènements qui secouent la nation nous poussent à lancer ce cri d’alarme pour demander aux dirigeants de stopper la dérive du pays. Au terme de sa CXIIIe Assemblée ordinaire, tenue du 23 au 27 septembre 2013, les évêques catholiques d’Haïti, dans un communiqué de presse, avaient dressé un sombre tableau de la situation sociopolitique du pays, invitant du coup les responsables à prendre les voies et moyens pour résoudre les vrais problèmes de la nation. Ils ont fait plusieurs recommandations et l’on se demande si les dirigeants du pays en ont tenu compte.

Le pays est à un tournant très difficile; ce n’est peut-être pas la première fois que nos dirigeants se trouvent dans des situations aussi complexes. Cependant, ce que nous vivons aujourd’hui a la particularité de jeter le pays dans un chaos que personne ne peut deviner comment l’on s’en sortira.

L’arrestation illégale de Me André Michel, opposant farouche au pouvoir en place, vient mettre le feu à la poudrière. D’aucuns voient se faufiler la silhouette lugubre d’une dictature postmoderne qui mettrait en péril les acquis démocratiques. La menace de la dissolution du Parlement haïtien est révélatrice d’un plan machiavélique contre les institutions démocratiques du pays. De quelle démocratie parlons-nous quand les deux grands pouvoirs de l’Etat constituent une menace à leur existence réciproque ? L’histoire des peuples nous enseigne que les démocraties se consolident à travers des institutions fortes et bien articulées. Le législatif comme l’exécutif ont le devoir de garantir la consolidation des institutions et non leur effritement.

Nous avançons vers une fin d’année qui n’augure rien de bon pour ce pays. Alors que les secteurs concernés semblaient vouloir se concentrer sur les moyens à prendre pour éviter un vide institutionnel, l’affaire André Michel vient compromettre les efforts de chacun. Haïti se perd dans des querelles fratricides alors que le pays se meurt et les tentatives de dialogue se noient dans l’océan des passions politiques.

Nous sommes à l’approche de 2014 qui marquera la première décennie du bicentenaire de notre indépendance, et nous voilà en passe de rater le coche. D’autres profitent de nos discordes et font tout pour nous humilier.

L’arrêt de la honte prononcé par la Cour constitutionnelle de la République dominicaine privant de la nationalité dominicaine des citoyens dominicains d’origine haïtienne devait interpeller la conscience de chaque Haïtien. La classe dirigeante de ce pays aurait dû profiter de l’occasion pour dégager une stratégie commune lui permettant d’engager la bataille diplomatique et politique contre cette décision.

C’était une bonne occasion pour mobiliser les filles et les fils d’Haïti autour d’un objectif commun. Là encore, c’est un momentum que nous sommes en train de perdre. Alors que nous reprochons aux Dominicains de violer les prescrits des traités internationaux, nous violons nous-mêmes nos propres lois et nous créons des conditions internes d’affrontement de groupes d’intérêts divergents. Quelle aberration ! Quelle honte !

Pour stopper la dérive du pays, nous plaidons en faveur d’un  Pacte de stabilité politique.

Notre pays a besoin de paix, de tranquillité, de stabilité, de sérénité pour affronter les grands défis de ce millénaire. Ce Pacte de stabilité politique sera constitué d’un corpus de règles définissant les engagements de chaque secteur à oeuvrer dans le sens du respect des principes démocratiques devant régir le bon fonctionnement des institutions. Il doit déterminer les grandes orientations politiques en vue de résoudre les différentes crises de gouvernance que traverse le pays. Ce Pacte devrait être l’expression d’un compromis liant les principaux acteurs politiques et économiques ainsi que la société civile. Les discussions qui devront mener à la signature d’un tel Pacte doivent se dérouler dans le respect des opinions de chacun. Ce Pacte, enfin, serait l’expression d’un consensus politique entre tous les secteurs de la vie nationale.

Dans l’état actuel des choses, nos hommes d’Etat doivent transcender. Ils ne peuvent se payer ce luxe de fermer les portes du dialogue. Bien au contraire, le dialogue, en tant qu’instrument démocratique, nous devons le cultiver si nous voulons une autre Haïti où il fait bon vivre. Notre pays fait face à de véritables crises : a) la crise sociale avec la détérioration des conditions de vie de la majorité des citoyennes et citoyens ; b) la crise de souveraineté avec la présence sur le sol haïtien d’une force étrangère (la MINUSTAH) et la mise sous tutelle du pays par la communauté internationale ; c) la crise de gouvernance de l’Etat avec la corruption et l’incapacité à résoudre les problèmes fondamentaux ; d) la crise institutionnelle ;  e) la crise économique ; f)  la crise politique permanente, etc.

Qu’il nous soit permis de prêter les propos des évêques catholiques d’Haïti pour exhorter nos dirigeants à « faciliter un espace de dialogue et de concertation pour que la solution à nos problèmes ne soit pas recherchée avant tout dans les rues ni hors de nos frontières ».

Stoppons la dérive du pays. Engageons-nous sur la voie d’un dialogue franc et sincère.

Dr Ricardo Augustin

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