Une armée “andaki” ?
Le Nouvelliste | Publi le :20 septembre 2013
Pierre-Raymond Dumas
Les 41 jeunes “officiers-ingénieurs” et “soldats-techniciens” haïtiens revenus de la République équatorienne après environ dix mois de formation ont été placés le lundi 16 septembre 2013 à la base des soldats équatoriens(de la Minustah) à la Petite-Rivière de l’ Artibonite pour un stage pratique de plusieurs mois. Et après? Le projet de loi créant ce nouveau corps sera déposé au Parlement, d’après le ministre de la Défense Jean Roudolph Joazile. Et comment? Croire qu’on peut mettre sur pied une force armée par bribes, en cachette, afin de “contourner” l’opposition farouche des lavalassiens, des Blancs américains et autres, c’est aller un peu vite. En matière de lutte contre l’insécurité, Michel Joseph Martelly avait fait, lors de la campagne électorale, de la remobilisation des Forces Armées d’Haïti(FADH)son cheval de bataille. Marionnettes au service d’une politique trompe-l’oeil, les anciens soldats de la défunte armée l’avaient pris au mot au début de son mandat: commencée en fanfare leur reconquête du droit de revendiquer, ils allaient vite désenchanter. Le résultat de ce duel épique fut à l’opposé de leurs ambitions. Dans cette entreprise de refondation de l’institution militaire, le véritable duel oppose deux camps d’inégale valeur: on ne peut pas traiter ce vaste sujet d’intérêt national de façon unilatérale ou en catimini. Est nécessaire un inventaire global pour revoir les tenants et aboutissants de chaque camp. Après tant de déconvenues et de vaines démarches sur le plan international, il était normal et prévisible que l’impatience, au Palais national, se manifestât de façon “andaki” et en utilisant la complicité d’un pays étranger d’importance périphérique. Attention! C’est de la politique dont il est question et non d’un jeu de cartes. Dès qu’on évoque le thème de la force armée à reconstituer, en référence au prescrit constitutionnel, tout le monde tire sur tout le monde et chacun sermonne ou insulte le voisin. Pour le moment, l’Histoire n’est pas en faveur d’une telle force. La triste période du coup d’Etat de 1991, entre autres catastrophes, a enterré les FADH. Ces explications doivent nous pousser à méditer avec soin les leçons de l’ère de la Police nationale d’Haïti(PNH) qui est, elle aussi, loin d’être reluisante, exempte d’odieux scandales et impuretés. Les rapports d’équilibre entre la politique et la force publique, en Haïti, ont toujours posé d’énormes problèmes fonctionnels. La leçon à en tirer est évidente: aujourd’hui encore, plus de 15 ans après sa création, la PNH dont les plans de réforme sont loin d’être efficaces demeure une institution défaillante, peu crédible, incapable de gérer les manifestations antigouvernementales, comme on le constate ces derniers temps. Il faut l’améliorer de façon constante, sans désemparer–c’est la préoccupation la plus louable–pour qu’elle devienne effectivement une police de métier, une police professionnelle, politiquement indépendante. Pour le reste, une autre force publique est incertaine sans un consensus national véritable. Il faut un débat en profondeur, conforme à la morale publique, à la confiance entre tous les secteurs de la vie nationale, à la crédibilité des dirigeants. L’argumentation des anti-forces armées est jusqu’ici bien plus simple, bien convaincante et bien plus acceptée que celle des nostalgiques de l’armée du général Henri Namphy ou Raoul Cédras. Nous n’avons pas le droit, une fois de plus, de faire courir un si grand risque à un peuple après lui avoir fait tant souffrir.
Pierre-Raymond Dumas