Publié le 2020-04-22 | Le Nouvelliste
Sur la route de lâaĂ©roport ce mercredi, rien ne manque au dĂ©cor en ce jour des plus ordinaires. Des motocyclistes qui font les yeux doux aux passants; des tap-tap bondĂ©s de passagers pour la plupart sans masque de protection; des piĂ©tons qui se dirigent dans tous les sens; une cacophonie de klaxons, de vrombissement de moteurs et de cris de marchandes dâĆufs bouillis et de figue-banane […] Il est 6h a.m., la journĂ©e dĂ©bute sur les chapeaux de roue.
La rĂ©ouverture des usines depuis lundi ajoute un plus Ă lâambiance paradoxale de Port-au-Prince au temps du coronavirus. Des grappes dâouvriers prennent dâassaut lâentrĂ©e de la SONAPI. Dehors, les gestes barriĂšres tels que le port de masque ou la distanciation physique semblent ĂȘtre jetĂ©s aux oubliettes. Le port du masque tient plus Ă un effet de mode quâĂ un rĂ©el souci de protection contre le Covid-19. Certains ouvriers le portent sous le menton, dâautre le mettent en-dessous du nez, dâautres nâattendent que leur arrivĂ©e Ă lâentrĂ©e principale pour le porter au visage. Ă lâentrĂ©e principale comme sur la route qui mĂšne aux diffĂ©rentes usines, la distanciation physique nâest pas respectĂ©e. Tout ce qui importe, câest de franchir la barriĂšre et de se rendre au plus vite Ă son usine, son gagne-pain, pour y prĂ©lever le « prĂ©cieux sĂ©same » : les 500 gourdes ou plus pour une nouvelle journĂ©e de travail.
Si les gestes barriĂšres ne sont pas respectĂ©s Ă lâextĂ©rieur, ils sont exigĂ©s pour pĂ©nĂ©trer dans toutes les usines logĂ©es au parc industriel de la SONAPI. Certaines usines placent sur le sol des points jaunes aprĂšs chaque 1m50 de distance afin que les travailleurs puissent se distancer lâun de lâautre pour entrer. Des points de lavage des mains sont observĂ©s devant pratiquement toutes les usines. Le port de masque est une condition nĂ©cessaire pour y pĂ©nĂ©trer. En plus de cela, des entreprises comme Pacific sport Haiti vĂ©rifient la tempĂ©rature corporelle des ouvriers avant de les autoriser Ă travailler. Pacific sport HaĂŻti dĂ©sinfecte les chaussures des ouvriers avec du chlore avant quâils pĂ©nĂštrent l’enceinte. Seul 30% du personnel de ces entreprises est autorisĂ© Ă travailler. Le gouvernement avait exigĂ© des patrons le travail par roulement, ce, afin de respecter les consignes de distanciation.
Si dans les usines on exige des ouvriers le respect des consignes, la réalité contraste dans les marchés publics. Les marchandes sont entassées comme des sardines. Elles vacillent entre incrédulité et la ferme espoir que « Dieu va les préserver du danger ».
Au marchĂ© Salomon, une jeune femme dans la trentaine interrogĂ©e par le journal dit ne pas vouloir porter de masque parce que celui-ci lâempĂȘche de respirer. Une autre dame prĂ©fĂšre son foulard au cache-nez parce quâil a entendu dire que les cache-nez sont « empoisonnĂ©s ». Une autre encore dans la quarantaine nâa pas hĂ©sitĂ© Ă exhiber fiĂšrement son masque fabriquĂ© Ă base de tissus. « Je lâai achetĂ© avec mes propres moyens. Ce nâest pas un don du prĂ©sident. On avait distribuĂ© quelques-uns au marchĂ© la semaine derniĂšre mais jâavais refusĂ© dâen prendre parce que je ne voulais pas que ma photo fasse le tour des mĂ©dias. Je ne vendrai pas ma dignitĂ© pour un morceau de tissu », dĂ©clare t-elle, le ton ferme. Plusieurs marchandes interrogĂ©es par le journal ont indiquĂ© avoir pris des mesures de prĂ©caution contre le virus. « Nous avons chacune une bouteille dâeau avec du chlore pour nous laver les mains aprĂšs chaque vente », soutiennent-elles.
Au marchĂ© du CanapĂ©-Vert, la plupart des marchandes de charbon de bois nâĂ©taient pas munies de masque ce mercredi. Selon certaines dâentre elles, la chaleur les empĂȘche de porter cette barriĂšre de protection. Dâautres ont dĂ©plorĂ© le fait que les autoritĂ©s nâen aient pas encore distribuĂ©. Une marchande interrogĂ©e par le journal compte sur une eau chlorĂ©e, devenue noirĂątre Ă force dâutilisation, pour se prĂ©munir contre le danger que reprĂ©sente le coronavirus. Une autre, la seule qui portait un masque en tissu lors de la visite du journal, croit que Dieu va lâĂ©pargner du danger. « Dieu est notre docteur. Il prendra le contrĂŽle. Il va nous protĂ©ger du coronavirus. Il prendra soin de nous », assure-t-elle avec conviction.
https://lenouvelliste.com/article/215228/usines-et-marches-publics-au-temps-du-coronavirus
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