Martelly à Washington joue le tournant de sa présidence.

Duval

Pour prier, socialiser, argumenter, parlementer, négocier, le président Michel Martelly se rendra aux Etats-Unis cette semaine. Cette visite est le paiement cash de son changement de cap de ces dernières semaines. Le président Barack Obama aura le plaisir de rencontrer un président haïtien assagi, investi dans un processus de dialogue avec les forces politiques de l’opposition de son pays et qui a mis les élections comme priorité de l’année 2014. Mais cela ne va pas suffire.

Les Américains, capitalistes invétérés, vont vouloir plus et plus encore de notre président. Une visite à la Maison-Blanche n’est pas une consécration, c’est le début d’un chemin qui commence ou qui se poursuit. Tous les présidents haïtiens qui ont fait le pèlerinage à Washington n’en sont pas revenus ravis. Souvent, on charge le visiteur de nouveaux objectifs.

Michel Martelly devra sans doute prendre des engagements, plus d’engagements comme jamais auparavant. Convaincre qu’il est et sera à la hauteur des espérances placées en lui par son peuple et ses amis de la communauté internationale. Rassurer sur la douceur et la fermeté de ses méthodes. Vendre une nouvelle image de lui-même et de son équipe.

Si la photo au bureau ovale ou dans n’importe quel salon de la Maison-Blanche restera le souvenir impérissable de ce périple, le vrai rendez-vous de cette visite ne se fera pas avec le président des Etats-Unis. Obama s’occupera des politesses. Le secrétaire d’Etat John Kerry, des dossiers chauds.

Les USA ne souhaitent pas voir leur poulain en Haïti s’enliser dans de nouveaux méandres après les années noires qu’il vient de vivre. On ne souhaite pas non plus de convulsions sociales suite à une mauvaise gestion des maigres ressources du pays. Le fonds PetroCaribe et les dépenses pas sages pointées du doigt par la responsable de la Banque mondiale dernièrement risquent d’être disséqués en quelques minutes autour d’un café chaud. Rien n’est plus déplaisant, en haute compagnie, que de se faire remonter les bretelles la tasse en l’air.

Michel Martelly n’est pas dépourvu de ressources. Son tempérament de fonceur et de charmeur sera sa principale arme. Il peut lui aussi passer à l’offensive et ne pas rester dans les cordes à encaisser les remontrances.
Les Américains, depuis des années, dépensent des milliards sans obtenir de résultats significatifs en Haïti. Comme ils dispersent tout seuls leur argent, le président d’Haïti va-t-il leur dire qu’il est temps de recadrer leur coopération ?
De Caracol qui ne décolle pas aux programmes budgétivores de l’USAID, il y a de la marge pour des actions plus efficaces au bénéfice d’Haïti et des contribuables américains. Il faut, les yeux dans les yeux, que quelqu’un le fasse savoir aux décideurs de Washington.

Charmer ne signifie pas embobiner. Il y a une ligne rouge invisible qu’il ne faudra pas que la délégation haïtienne franchisse. Une partie de poker n’est pas un jeu de dupes.
Autres points dans l’agenda de la visite, le président va sceller la paix avec le Black Caucus. Démocrates en face d’un président haïtien connu pour ses amitiés républicaines, Lavalas en face d’un GNB, il y aura de la tension dans l’air lors de la réception officielle prévue. Martelly va jouer aussi sur du velours avec les institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI et Banque interaméricaine de développement) dont il rencontrera les responsables. Il y a un étranglement de l’aide à Haïti. Comment Martelly va-t-il essuyer les reproches et garantir un management plus responsable à l’avenir pour casser le soft verrou qui est en place ?

Enfin, à Washington, il y a l’Organisation des Etats américains (OEA). Nous avons un litige pendant avec la République dominicaine qui est devant cette instance. Quelle attitude tenir ? Les Haïtiens vont-ils ratifier le retrait de leur prétention ou enfoncer leur voisin ? Le président Michel Martelly a toutes les cartes en main.

Aller à Washington n’est pas une partie de plaisir. C’est une démarche à haut risque même quand cela prend l’allure d’une tournée triomphale. Derrière l’écran de fumée de la joie, les enjeux sont réels.
Aucun président haïtien, depuis Louis Borno, le premier d’entre eux, n’a visité la capitale fédérale américaine sans que cela ne porte à conséquence. C’est toujours un tournant. Dans un sens ou dans l’autre.

Frantz Duval

Source: Le Nouvelliste
http://www.radiotelevisioncaraibes.com/opinion/martelly_washington_joue_le_tournant_de_sa_pr_sidence.html

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