Marque culturelle et retour aux racines

Marque culturelle et retour aux racines

Marie-Thérèse Labossière Thomas

 

En avril 1968, suite à l’assassinat de Martin Luther King, des émeutes raciales éclatèrent aux Etats-Unis et la Garde Nationale se déploya dans la ville de  Washington DC. La dynamique sociale continuant d’évoluer, l’heure était à la découverte et au changement.

 

Il y a de cela plusieurs années, on me demanda à un atelier pédagogique d’identifier ma marque culturelle. « Mon afro !» répondis-je spontanément.

 

C’était alors les années ’90, longtemps après que soient passés de mode les immenses afros des années ’60 et ’70. Le mien restait encore substantiel, et cela provoquait les commentaires nostalgiques des anciens de l’époque, qui souvent s’arrêtaient pour me parler.

 

Arrivée aux Etats-Unis à la fin des années ’60, à l’apogée du régime de Duvalier en Haiti, je me suis trouvée au beau milieu du mouvement pour le changement aux Etats-Unis. La petite communauté haïtienne de la zone de Washington DC comprenait alors des  professionnels d’organisations internationales, des diplomates, un petit nombre d’étudiants et de professeurs d’université, quelques ouvriers et des employés de maison. Cosmopolite comme dans les villes de chez nous, on y trouvait des intermariages avec des Noirs ou des Blancs américains, et aussi quelques familles dont on disait qu’elles essayaient de se faire « passer pour blancs » en maintenant soigneusement la ligne de démarcation entre leur identité haïtienne et l’objet de leur rêve.

Malgré les barrières de langue, mon mari et moi commençâmes immédiatement à explorer notre nouvel environnement et, bien que nous ayons étudié l’anglais en Haïti, les conversations du début furent laborieuses à cause des différences d’accents. Par conséquent, alors qu’on se perdait sans cesse en autobus, on lisait aussi les journaux, ne manquant aucune occasion de regarder la télé, de même que de noter les mots nouveaux et leur prononciation, et aussi de faire un généreux usage de dictionnaires. Souvent en nous entendant parler, les Américains–Noirs ou Blancs– nous demandaient si nous étions “censés” être Noirs. Nous essayions alors de leur expliquer l’Indépendance d’Haïti dans le contexte de la traire négrière et de notre héritage africain.

 

Au cours des troubles qui suivirent l’assassinat de Martin Luther King en 1968, les émeutiers incendièrent, entre autres, la 14th Street NW (la Rue 14 du secteur Nord-Ouest) de Washington. L’odeur du gaz lacrimogène utilisé pour les disperser pénétra à l’intérieur de chez nous, dans le quartier d’Adams Morgan qui n’était pas loin. Le samedi suivant, il fallut précipitamment s’approvisionner au magasin de proximité où deux soldats de la Garde Nationale, armés de fusils, se tenaient à la porte. Les troupes fédérales occupaient Washington.

 

Le logement à bon marché de la banlieue de Northern Virginia nous y attira, malgré les quelques mises en garde de parents et d’amis. Premiers Noirs à s’installer dans notre rue, nous y fûmes bien accueillis au départ. La situation commença à changer à partir de nos initiatives de prise de contact avec d’autres familles congénères du quartier. Questionnée au sujet de cette nouvelle attitude, notre voisine d’à côté répondit qu’elle nous avait pensés être “différents”.

 

Grâce à notre connaissance en langues et autres compétences, il nous fut possible de trouver du travail dans le secteur où s’étendait la déségrégation. Mon parcours journalier entre Washington et la Virginie se faisait donc par autobus et j’y étais le plus souvent la seule Noire. Il m’arriva cependant de remarquer que, même dans un bus plein à craquer, le siège à côté du mien restait presque toujours vide, même s’il était le seul vacant. Un coup d’oeil autour de moi me fit aussi voir que, bien qu’étant la seule Noire de l’autobus, ma chevelure avait été traitée de façon à suivre le modèle européen. Je décidai alors d’être fidèle à moi-même. Après quelques essais et erreurs, le résultat en fut un immense afro, et cela attira un soir des regards curieux de certains qui semblèrent me prendre pour Angela Davis, alors en fuite et activement recherchée.

 

Federal City College (maintenant UDC) avait commencé à offrir un programme de maîtrise nouveau et plutôt militant. J’y trouvai les informations, le contexte et la structure Panafricaine nécessaires à une meilleure compréhension de la conjoncture afro-américaine et de ma culture haïtienne. Les librairies afro-américaines de Georgia Avenue, le Alexandria Black History Resource Center (maintenant Black History Museum) et autres chercheurs locaux m’aidèrent à découvrir les connexions du XIXè siècle entre la jeune République d’Haïti et les Noirs américains, de méme que les migrations de ces derniers à  l’invitation du gouvernement haïtien d’alors.

 

Mes enfants, maintenant adultes et conscients de leur appartenance haïtienne, se sont aussi intégrés au monde noir américain. Et, avec les caprices de mode qu’inspirent les célébrités, des jeunes m’abordent parfois. « J’aime votre afro » disent-ils. « Comment en prenez-vous soin ? »

 

C’est simple, facile et naturel. Utiliser les resources communautaires et Internet pour se renseigner, puis choisir le style, maintenir la coupe et entrenir la coiffure. Un bon peigne de style afro compte pour beaucoup, et j’en utilise encore un que quelqu’un m’apporta d’Afrique en cadeau, il y a longtemps.

 

 

Marie-Thérèse Labossière Thomas

19 avril 2013

thesydescayes@yahoo.com

www.labossierethomas.blogspot.com

 

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