Une loi de trop

Une loi de trop
Le Nouvelliste | Publie le :17 septembre 2013
 Pierre-Raymond Dumas

Sous peine de voir le pays tomber sous les sanctions internationales ou faire l’objet d’une sinvestigation par le Groupe d’action financière internationale (GAFI), la Chambre des députés a fini par voter le lundi 9 septembre la loi sur le blanchiment des avoirs et le financement du terrorisme, quelques mois après le vote au Sénat, malgré les contestations et les hostilités de certains secteurs et groupes. Aucune personne avisée ne peut ignorer ce qui est en train de se passer. Il y a là de grands enjeux!   Pour le dire simplement, notre Etat failli, qui est sans capacité de surveillance frontalière, maritime, portuaire et aéroportuaire stricte, ne peut demeurer par contre sans loi à caractère international. Enclin au laxisme et à la violence, notre pays croule sous le flux des trafics illicites de toute nature, surtout de la drogue qui ne connaît pas de limites, et les mafias transnationales ne reculent devant rien.
Pourquoi a-t-on si peur de cette loi qui signe la fin d’un vide juridique et esquisse la nouvelle période qui s’annonce? C’est en tout cas une épée de Damoclès suspendue, en particulier, sur la tête des dealers de drogues qui pullulent dans tous les coins et recoins du territoire national, à partir des zones côtières.
L’important est de reconnaître que l’argent sale et ses détenteurs existent et prospèrent à travers toutes nos institutions, publiques et privées, toutes les couches sociales, privilégiées et populaires, toutes les activités de la vie nationale, culturelle ou électorale. En province comme au centre-ville et dans ses environs, des personnalités et des familles très connues dans les milieux politiques et économiques sont impliquées parfois dans des trafics illicites. La triste vérité est qu’Haïti est gangrenée par le crime organisé. Et tout le monde le sait, des fils de familles respectables aux enfants des rues.
Finalement, pouvons-nous espérer lutter vraiment contre ce fléau et ses profiteurs tant que nous n’aurons pas apporté des solutions sérieuses aux défaillances policières et judiciaires?  En plus, les accusations et les scandales de corruption liant les réseaux mondiaux de la drogue et un certain nombre de nos hommes politiques et hommes d’affaires ne datent pas d’hier. Il est clair que cette collusion entre la mafia de la drogue, le secteur des affaires et la classe politique rend malsain et chaotique le processus de transition démocratique, en tous points. Il faut toutefois noter que le déficit d’honnêteté et de transparence dont souffrent nos élites dirigeantes et possédantes est un problème extrêmement grave et douloureux. Et, du reste, il n’est pas propre à Haiti.
Tant décriée, emblématique de tout ce qui ne va pas au pays, la situation d’impunité et d’insécurité est liée non seulement à l’absence d’institutions dignes d’un Etat de droit fort, mais aussi au niveau élevé de pauvreté et de décomposition au sein de notre société, arrivée aux limites de l’incroyable.
Tout cela montre que l’application de la loi sur le blanchiment d’argent qui n’est pas là que pour le décor exige de miser sur une force de police professionelle et une presse non partisane, ainsi que sur l’indépendance de la justice. Tout cela est vrai mais difficile. Le bon fonctionnement de l’appareil judiciaire reste absolument corrélé au pouvoir politique, à son intégrité ou pas. Ce qui suppose d’énormes efforts, parce que la lutte contre la drogue et le terrorisme est à la fois politique, policière et judiciaire.
Pierre-Raymond Dumas
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