28 ans après le faux départ de Duvalier, la mémoire toujours bafouée.

Baby Doc Le vendredi 31 janvier 2014 ramène le 28è anniversaire du faux départ du dictateur Jean-Claude Duvalier d’Haïti, après s’être ravisé de laisser le pays pour l’exil en France, relève l’agence en ligne AlterPresse.

C’était justement un vendredi 31 janvier 1986 que Baby Doc, le fils de François Duvalier, pris dans la tourmente d’un mouvement hostile à la dictature, était annoncé partant d’Haïti. Même un porte-parole des États-Unis d’Amérique confirmait la nouvelle du départ.

« Nous étions prêts à tout… faire… pour libérer le pays et l’ouvrir à une ère nouvelle », confie à AlterPresse Chenet Jean Baptiste, aujourd’hui Docteur en Droit et directeur exécutif de l’Institut de technologie et d’animation (Iteca).

il était parmi les jeunes qui avaient, ce jour-là, bravé la dictature en tentant d’occuper brièvement les rues de Port-au-Prince.

La population de la capitale, qui ne s’était pas encore soulevée contre le régime, depuis les différents mouvements de révolte enclenchés dans plusieurs villes de province (Cap-Haïtien, Gonaïves, Petit-Goâve, etc) – notamment au moment et après la mort par balles des écoliers Jean Robert Cius, Daniel Israël et Mackenson Michel aux Gonaïves le 28 novembre 1985 – en a profité pour exprimer ouvertement .

A signaler que les habitants de la capitale s’étaient auparavant mobilisés, via des tracts, pour exprimer leur ras-le-bol de la dictature et leur soif de liberté.

Ce vendredi 31 janvier 1986, nombreux sont les protestataires dans les rues de la capitale, notamment aux abords de l’église Saint Jean Bosco, dans la zone appelée Portail Saint-Joseph.

Plusieurs devantures de magasins sont saccagées, notamment celles assimilées à des supports inconditionnels au duvaliérisme et au jean-claudisme.

Les magasins et autres entreprises de service, qui avaient ouvert leurs portes, ferment bien vite devant l’ampleur des événements en cours. Les employés tentent de regagner leurs demeures, non sans peine.

De nombreux jeunes de l’époque découvrent, pour la première fois, les turbulences, mêlées d’anxiété et d’espoir, qui accompagnent les chutes de gouvernement… depuis l’emprise de la dictature, en 1957, et l’anachronisme de présidence à vie, en 1964.

Mais…, le 31 janvier 1986, n’était un faux départ.

Apparemment, Jean-Claude Duvalier n’aurait pas encore planifié totalement son départ avec la communauté internationale, ni obtenu des garanties pour ses « fidèles ».

Il fait une tournée au bas de la ville de Port-au-Prince et se compare à un chimpanzé « mwen Kanpe red kou ke makak »

Comme pour dire, effrontément, qu’il s’accroche au pouvoir, malgré les questionnements et la fronde ouverte contre son régime dictatorial, à travers le territoire d’Haïti.

Les stations de radio indépendantes (Radio Soleil, Radio Cacique, Radio Lumière) – comme les journalistes les qualifiaient à l’époque -, qui relayaient les secousses de renversement imminent du régime, sont tout de go fermées, sur ordre du gouvernement.

Et l’état de siège est déclaré… c’est-à-dire sont suspendues toutes les libertés publiques, si ces libertés publiques existaient véritablement, tant le régime faisait suivant ses caprices, par des assassinats, des actes de répression, de bastonnades, l’emprisonnement, l’exil, la torture…

Des témoignages de jeunes de l’époque

Ce 31 janvier 1986, la population de la capitale a tenté une démonstration ouverte contre le régime, dans les rues.

Plusieurs s’étaient donné rendez-vous à Saint Jean Bosco, au portail Saint Joseph, pour une grande manifestation-symbole, à l’instar des autres villes du pays.

« J’étais, évidemment, à Saint Jean Bosco », se souvient Chenet Jean-Baptiste. C’était un temps de « sacrifice et d’engagement ».

Le sentiment d’offrir des lendemains meilleurs au peuple avait suscité chez les jeunes « une sensation fébrile », une vibration que partageait toute la génération de l’époque, se rappelle Jean-Baptiste.

La « première grande manifestation » à Port-au-Prince a laissé l’église catholique romaine de Saint Jean Bosco, sous la guidance du prêtre (de l’époque) Jean-Bertrand Aristide, pour entrer au cœur de la ville.

Arrivés au premier poste de police, les soldats de faction ont attaqué les manifestantes et manifestants qui avaient, rapidement, fait descendre le drapeau noir et rouge (symbole du régime dictatorial).

Entre-temps, le département d’État étasunien annonce le départ du dictateur Jean-Claude Duvalier.

De nombreuses gens gagnent les rues, des points de tension se créent un peu partout.

Les Volontaires de la sécurité nationale (Vsn), le corps de milice du dictateur, et les militaires se sont mis à bastonner les manifestantes et manifestants dans les rues.

L’histoire n’a pas rapporté le nombre de personnes victimes ce jour-là (31 janvier 1986).

Quelques heures après, face aux circonstances et pour rassurer ses supporters, le dictateur Jean-Claude Duvalier est sorti organiser une tournée dans les rues, pour faire comprendre qu’il avait encore le contrôle du pouvoir et que l’annonce du département d’État était un leurre.

Qu’est-ce qui a changé, depuis 28 ans ?

Rien ou presque, sinon que quelques libertés acquises, comme la liberté d’expression et de presse.

Depuis 2011, les anciennes figures de la dictature des Duvalier réapparaissent et refont surface dans les avenues du pouvoir, qui les emploie et tente de banaliser leurs forfaits, jusque ceux de Jean-Claude Duvalier lui-même, invité par le président Joseph Michel Martelly à participer, le mercredi 1er janvier 2014, aux Gonaïves, au 210 e anniversaire de la proclamation de l’indépendance d’Haïti.

Chenet Jean-Baptiste, qui a vécu les déboires, tourments et espoirs de la période de 1986, se sent, aujourd’hui vendredi 31 janvier 2014, « un peu désabusé » et traversé par un « sentiment d’amertume ».

Il vit, dans cet état de fait, ce qui est devenu une « déception », progressivement.

Huit jours après le vendredi 31 janvier 1986, soit le vendredi 7 février 1986, Jean-Claude Duvalier part en exil pour la France.

Certaines valeurs sont, depuis lors et dorénavant, acquises, comme : la liberté d’expression, celles de se réunir en association ou de gagner la voie publique pour manifester.

Mais « nous ne sommes pas parvenus à construire cette alternative sociale et économique, rêvée par tout le monde », regrette le professeur Jean-Baptiste.

« Nous ne sommes pas parvenus à changer l’État », ajoute-t-il.

Paradoxalement, Jean-Claude Duvalier circule librement dans le pays, participe aux cérémonies officielles avec les autorités gouvernementales, tandis qu’ « il devrait être derrière les barreaux ».

Vingt-huit ans plus tard, l’impunité, dont jouit Jean-Claude Duvalier, est en train de saper la mémoire du peuple sur les atrocités du régime.

Après 25 années d’exil en France, l’ex-dictateur est rentré dans le pays le 16 janvier 2011.

Depuis, les différentes victimes ou les proches de victimes des Duvalier n’ont pas cessé de demander justice et réparation.

Quoi qu’il en soit, des efforts restent à accomplir pour changer la donne politique, raviver la mémoire de la population sur les méfaits de la dictature des Duvalier et construire de nouvelles bases de justice sociale et économique, conformes aux aspirations suscitées le 7 février 1986.

[à suivre]
Alter Presse
http://www.alterpresse.org/spip.php?article15901#.Uu4-AZko45s

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